Better Call Saul, leçon 1 : assume le clown en toi
avril 17, 2015
Voici qu’après dix petits épisodes, la première saison de Better Call Saul a trouvé sa conclusion. Deux constatations s’imposent pour commencer : la série a parfaitement tenu les promesses de son pilote et l’attente va sembler longue avant de connaitre la suite des aventures de Jimmy McGill.
Alors que l’on pouvait craindre un pâle succédané de Breaking Bad, aspirant les dernières forces vitales de quelques personnages ramenés artificiellement à la vie pour un dernier tour de piste rémunérateur, Better Call Saul a démontré dès ses débuts qu’elle avait clairement quelque chose à nous dire, indépendamment de toute référence à sa série-mère. Sa réalisation soignée, ses plans magnifiques, ses personnages passionnants, ses intrigues intelligemment entremêlées et distillées tout au long de la saison, tous ces éléments ont fait de ces dix épisodes de véritables gourmandises dont j’ai apprécié chaque bouchée.
Notre héros, incarné par un Bob Odenkirk au meilleur de sa forme, aussi ridicule que touchant, véritable ressort de comédie, s’est révélé plein de ressources et capable de nous balader sur un éventail d’émotions bien plus large que l’on ne pouvait s’y attendre. La figure du loser revisitée ici explore avec finesse les ressorts psychologiques d’un homme bien plus profond qu’il ne le laisse entrevoir. Son attachement aux apparences, comme les découpes et coloris de ses costumes, n’a d’égal que les bonnes intentions qui l’animent et, si aucune de ses médiocrités ne nous sont épargnées, sa grandeur est tout aussi manifeste.
L’amour de ses personnages que porte la série est évident et communicatif. Ainsi, suivre pas-à-pas l’installation de Mike dans sa nouvelle vie, comprendre d’où il vient et ce qui l’anime a également constitué un fil narratif intéressant à dérouler, et cela me semble-t-il en dehors de toute connaissance de son avenir. Ce personnage est en effet assez consistant pour tenir debout par lui-même. Même si elles sont restées logiquement liées aux tribulations du héros, espérons qu’il en sera de même des nouvelles figures qu’a introduites la série, comme le frère et l’amie de Jimmy qui disposent d’ors et déjà d’un vrai potentiel.
Si une comparaison devait être faite avec les aventures de Walter White, c’est bien plus sur le propos que je me porterais. Si les décors ensoleillés et les visages burinés manifestent une filiation évidente, c’est en effet la valorisation de l’authenticité et la dénonciation des compromissions qu’exige la vie bien-pensante des personnes bien-rangées et « sans histoire » qui signent la parenté incontestable des deux séries. Sur ce point, aucune figure n’est plus parlante que celle de la famille par laquelle Jimmy tente de se faire recruter dans les premiers épisodes.
Malgré le détournement d’une somme considérable, elle se refuse d’abandonner ses réflexes moraux et ses habitudes pour adopter une mentalité intégrant la dimension criminelle de ses actes, ce qui la rend évidemment faible et dangereuse, pour elle-même comme pour les autres. Mon seul regret sera qu’encore une fois ce soit la femme du couple qui doive porter le plus rigoureusement ce besoin de maintenir les apparences, non que ce ne soit crédible mais que la répétition conduit forcément, ne serait-ce qu’inconsciemment, à essentialiser cette représentation.
Ce propos est si évidemment au cœur du récit que l’on pourrait résumer cette première saison comme celle qu’il aura fallu au héros pour accepter de quitter les aspirations honorables qui l’animaient afin d’enfin assumer pleinement ce qu’il est destiné à devenir, à savoir un véritable escroc débarrassés de tout scrupule. La scène finale est sur ce point essentielle et particulièrement significative. En effet, son comportement peut paraitre surprenant alors qu’il est sur le point d’obtenir toute la reconnaissance dont il a tant manifesté le besoin jusqu’alors. Pourtant, l’épisode, construit et amené avec une intelligence proche de la perfection, nous donne toutes les clés pour voir dans cette décision à la fois une conclusion logique et libératrice pour Jimmy McGill, puisqu’il sort ainsi de l’ombre de son frère, et la manifestation d’un véritable choix individuel, dont il est le seul à pouvoir être tenu pour pleinement responsable.
Nous assistons en direct à la réappropriation par le personnage principal des rênes de son destin. Sans doute est-ce là un premier pas vers la descente en enfer, dont les premières images du pilote nous donnaient la destination, mais on ne peut s’empêcher, ne serait-ce qu’un peu, de se réjouir avec lui de cette liberté retrouvée et enfin assumée. Nul doute, en tout cas, que la saison apporte une véritable conclusion à ce premier volet et met en place les bases pour une suite que l’on abordera avec confiance. Tout est présent pour nous assurer que le plaisir que constitue Better Call Saul continue encore longtemps et je guetterai donc avec impatience son retour.