Preacher, la force d’agir, en l’absence de vérité

Cet article a fait l’objet d’une publication antérieure sur le site de Smallthings.

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C’est l’histoire d’un cowboy qui rentre dans un bar, d’une terre désertée par Dieu et de ses habitants : un adolescent à la tête de cul, un entrepreneur fou de douleur mais ivre de revanche, une mère célibataire à qui on donnerait le bon dieu sans confession, …

C’est l’histoire de deux anges qui cherchent à récupérer un pouvoir qui a tendance à faire exploser les personnes qu’il investit. C’est un prêtre, un vampire et une femme en colère au nom de fleur qui se découvrent une mission. C’est une série qui se présente comme une blague et qui se révèle être un véritable plaisir de sériephile.

Dès les premières images, le décor était posé, les intentions étaient claires, Preacher serait une ambiance, une atmosphère avant tout. Et pour ceux que cet univers touchait, cela suffisait déjà à la rendre fascinante. Les plans, bien sûr, et la musique, mais au-delà l’imaginaire métaphysique qu’ils permettaient d’invoquer s’est installé avec le naturel désarmant de l’évidence : ce monde dont l’absurde violence ronge l’âme de tous les personnages aspire à être sauvé sans plus trop oser y croire.

Or, qu’arrive-t-il lorsque ce manque de foi, qu’incarne plus que tout autre Jesse, le pasteur d’Annville, Texas, et qui clairseme un peu plus chaque dimanche les bancs de l’église qu’il a hérité de son père, rencontre un pouvoir de conviction si puissant qu’il est capable de faire faire ce qu’il veut à n’importe qui ?

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Soudain investi de la capacité d’agir sur les autres, la certitude ne remplace pas le doute, le bien ne remplace pas le mal, ni la vérité l’erreur. Que du contraire… La route vers l’Enfer est pavée de bonnes intentions, dans Preacher plus littéralement encore qu’ailleurs.

Dans cet univers saturé de sens autant que d’absurde, chaque personnage est un microcosme porteur et véhicule des qualités comme des défauts de ce tout auquel il participe, traversé d’une violence infinie et d’une lueur vacillante, quoique persévérante, désabusé mais debout, sans espoir mais sans cynisme.

Hauts en couleur, simplement mais clairement caractérisés, tous participent de cette histoire qui n’en est pas une, ou si peu, du destin de cette petite ville paumée au milieu de nulle part, oubliée de tous et surtout de Dieu, dont la colère aurait dû depuis longtemps exercer son jugement purificateur.

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Pourtant de jugement il n’est surtout pas question et si le courroux divin a quoi que ce soit à voir avec la destinée d’Annville, c’est par son absence plus que tout autre chose. Nul n’est innocent, pas plus que habilité à juger qui que ce soit dans Preacher. Et s’il y est question d’anges, d’enfer et de Dieu, c’est débarrassées des dimensions d’absolu et de vérité que ces entités sont convoquées.

Dès lors, c’est avec une décomplexion totale que l’univers permet à ses personnages de déployer avec grâce tout leur potentiel, comique autant qu’ultra-violent, et souvent les deux à la fois. Les références à la filmographie des frères Coen et à Pulp Fiction, notamment, y trouvent d’ailleurs leur pleine légitimité. Les règles posées, on ne peut que se laisser porter avec délice et confiance dans cet espace inventif, extrêmement ludique et magnifiquement agencé.

Dix épisodes plus tard, alors que notre trio de héros se forme à peine et que leur quête se révèle pour la suite, on ne peut qu’admirer la manière dont cette première saison a été menée, avec son air de pas y toucher, comme un voyage qui n’en semblait pas un, tant on a été absorbé par le paysage, tant on a apprécié la présence de ceux qui nous accompagnaient.

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Parmi les plus grandes réussites de Preacher, citons un casting parfait, un humour décapant, une place accordée au déploiement des histoires individuelles de chaque personnage, une esthétique soignée et ludique, un pilote alléchant, des scènes d’anthologie, deux personnages féminins passionnants, une gestion solide et intelligente de l’intrigue qui donne à chaque épisode son importance et que clôture magnifiquement un final hilarant, un vrai propos accessible et amusant mais jamais simpliste.

Bref, pas sûr que Dieu montre un jour le bout de son nez mais au moins on pourra toujours attendre la saison deux de Preacher annoncée pour l’année prochaine.