Sériesophie

Masculinité du Care ou « I don’t care » : de Larry David à Tommy Shelby

Cet été, le hasard de mes envies m’ont fait regarder sur la même période la saison 11 de Curb your Enthusiasm et l’entièreté des Peaky Blinders que je n’avais pas encore pris la peine de découvrir jusque-là. Etant retombé peu de temps auparavant sur l’idée que je développais dans un article précédent d’une masculinité du Care à propos du personnage de Pacey, cette idée s’est mise à macérer dans l’environnement sériel que je lui offrais.

Le propos de cet article a commencé à prendre forme lorsqu’il est devenu évident pour moi que le personnage de Larry David incarnait précisément l’opposé de ce que l’on entend par l’éthique du Care. Non pas qu’il soit je-m’en-foutiste. Au contraire, il passe son temps à s’énerver et s’engueuler avec tout et n’importe qui pour des broutilles. Mais bien qu’il ne se préoccupe et ne prend jamais soin de personne d’autre que lui-même.

Or, si l’idée du Care a été développée pour rendre compte d’un raisonnement éthique moins abstrait, et présenté comme moins rationnel, que l’on constatait chez les petites filles parce qu’elles prenaient davantage en considération le bien-être d’autrui que les principes moraux, Larry David, en incarnant une caricature d’« I don’t care », semblait en parallèle devoir représenter une attitude propre à la masculinité, celle de pouvoir se permettre de ne vivre que pour soi-même sans jamais devoir prendre en compte qui que ce soit d’autre.

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Dawson, la morale, la politique

Si Dawson’s Creek est et se veut une série sur le passage à l’âge adulte et sur cette période, à la fois intense et de temps suspendu, qui le précède, c’est aussi une fiction, un univers, qui comme toutes les autres impose comme une évidence une vision du monde, une morale, un rapport aux questions politiques et sociales du moment. Il est dès lors toujours intéressant de tenter de démêler le point de vue qu’elle nous propose afin de mieux comprendre de quels imaginaires nos convictions se nourrissent.

Or, le moins que l’on puisse dire est que Dawson’s Creek n’est pas avare en la matière. Les considérations morales y sont omniprésentes, de même que la discussion de la manière dont nos engagements et croyances modèlent nos identités, sans compter la représentation de certaines problématiques, certains modes de vie et certaines expériences sociales, et l’absence totale de certaines autres. Nous allons donc tenter de nous plonger un moment dans le dédale de ces innombrables considérations et voir ce que l’on peut en retirer.

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Dawson, modèles et subversion des genres

Parmi les très nombreux axes d’interprétation que la série Dawson’s Creek nous offre à explorer, la question des modèles masculins et féminins se démarque avec évidence sans que je n’aie pour autant pris la peine de le traiter jusqu’ici. A l’occasion de l’nième visionnage auquel je me suis adonné dernièrement, me voici prête à combler ce manque.

De fait, dès le départ, la série se construit autour d’une double opposition, incarnée par chacun de ses personnages principaux, celle de ses modèles masculins et féminins. J’avais jusqu’ici, autour de la question de la sexualité notamment, beaucoup insisté sur le fossé qui sépare Dawson et Joey d’un côté de Pacey et Jen de l’autre mais, si cette distinction reste pertinente, elle se déploie en réalité sur fond d’une séparation bien plus profonde encore, celle qui isole les personnages féminins des personnages masculins. La série, par l’intermédiaire de ses personnages, insiste ainsi régulièrement sur ce qui différentie les hommes des femmes et les garçons des filles. On se retrouve dès lors de part et d’autre face à un couple d’incarnations parfaitement idéal-typiques couvrant du spectre de leur distance l’ensemble des possibles de chaque genre.

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Masculinité, ce que nous disent les séries

Lorsque l’on se veut un observateur et analyste de la culture médiatique contemporaine, en tant que révélatrice de visions du monde collectives, on ne peut évidemment rester indifférent à une onde de choc aussi vaste que celle provoquée par l’affaire Weinstein, qui semble de proche en proche faire sauter de plus en plus de verrous et être l’occasion d’une véritable prise de conscience.

Tout cela ne tombe cependant pas du ciel et nous avons vu se mettre en place ces derniers temps, dans les fictions comme dans les prises de positions de stars féminines, un discours féministe cool et conquérant. Celui-ci s’est cependant présenté principalement comme une révision de l’identité féminine destinée à dépasser les clichés sexistes.

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Viol : 1 sujet, 2 séries

Sweet/Vicious et 13 Reasons Why, comparaison (très) critique

Avertissement :

  • Comme son titre l’indique, cet article aura pour objet la représentation du viol et pourrait donc être difficile à supporter pour certains.
  • L’analyse proposée portera sur l’ensemble des premières saisons des deux séries citées ci-dessous et contiendra donc des spoilers.
  • La série « 13 Reasons Why » ayant beaucoup touché certains, je prends la peine de préciser que, si mon propos n’est pas de les blesser, il pourrait cependant heurter ceux qui s’y sont beaucoup investis.

N.B. : Une partie des réflexions que je livrerai ici a déjà été abordée dans l’émission 4×25, consacrée à 13 Reasons Why. Je ressentais cependant le besoin de les développer par écrit.

Toutes ces précisions étant faites, je me lance :

Cela fait quelques mois déjà que cet article germe en moi sans être tout à fait sûre de la forme qu’il prendrait en sortant. Si cette saison a, en effet, comme toujours, été marquée par beaucoup de plaisir et d’émotions pour la sériephile que je suis, elle s’est également démarquée par la puissance de l’engagement personnel que j’ai pu ressentir à l’occasion du visionnage de 3 séries en particulier : Sweet/Vicious, 13 Reasons Why et Big Little Lies.

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Au-delà des apparences, un enjeu sériel

Mr. Robot - Season 1

Parmi des thèmes récurrents de nos fictions télévisées, celui d’une vérité qu’il s’agirait d’aller chercher au-delà de ce qui nous est donné à voir en première lecture est absolument incontournable. Qu’il s’agisse d’un enjeu narratif, d’une conséquence d’un format s’étirant dans la durée ou d’un appel du pied au téléspectateur, les possibilités qu’ouvre cette question sont infinies.

Au sein même du récit, pour commencer, nous en trouvons évidemment la marque sous de nombreuses formes. Ainsi, toute quête de vérité, si elle veut durer un minimum s’appuiera sur le principe selon lequel celle-ci ne se dévoile qu’à force de ténacité et à condition d’être capable de dépasser ses préjugés et premières impressions. Ce sera le cas pour de nombreuses enquêtes policières, mais aussi pour toutes les séries qui s’inspireront de ce modèle pour l’appliquer à la médecine ou au paranormal, par exemple.

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La série télévisée, un art philosophique ?

buffyjonathan

Depuis une dizaine d’années, les ouvrages mêlant séries et philosophie se sont multipliés, démontrant à ceux qui en doutaient encore la richesse de ce genre fictionnel nouvellement frappé du sceau de la légitimité culturelle.

Pour la plupart, cependant, ces travaux se limitent à des lectures de l’un ou l’autre aspect de ces œuvres à partir de concepts philosophiques existants. Si la démarche est passionnante lorsqu’il s’agit de démontrer la puissance évocatrice que permet l’illustration de concepts par la fiction, et par conséquent l’immense potentiel pédagogique encore trop peu exploré de celle-ci, ou plus simplement encore la grande cohérence thématique et symbolique dont elles peuvent faire preuve, elle me semble présupposer, sans véritablement prendre la peine de l’interroger, la légitimité philosophique de leur objet d’analyse.

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Nos séries à l’épreuve du réel

making-a-murderer

Avec l’arrivée remarquée, ces derniers mois, du documentaire dans le format sériel, et notamment Making a Murderer disponible sur Netflix, la comparaison entre fiction et réalité se fait encore plus pressante et on pourrait être tenté de minimiser l’intérêt de la première sous prétexte qu’elle présenterait une version trop idéalisée du monde.

De fait, l’illusion réaliste dans laquelle nous abordons parfois les séries se révèle avec toujours plus d’évidence lorsque l’on prend la peine de les décortiquer avec attention. C’est qu’il n’est pas un seul aspect de celles-ci qui puisse soutenir longtemps la prétention à refléter la réalité, ne serait-ce qu’en partie.

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Nos séries et leur morale

Better Call Saul

Depuis que j’ai ouvert ce blog, j’ai tenté de démontrer à longueur d’articles que nos fictions télévisées n’étaient pas neutres idéologiquement, qu’elles avaient un impact bien réel sur nous et sur le monde qui nous entoure. Plus j’analyse de séries, cependant, et plus il devient manifeste à mes yeux que leur contenu moral s’inscrit dans une vision du monde largement partagée, d’un genre à l’autre et d’un univers à l’autre. Une telle tendance me semble ainsi assez significative pour en déduire qu’il s’agit là de l’expression d’un esprit du temps, comme autant d’incarnations du système de valeurs qui gouverne nos contemporains.

Au cœur de ce système moral, et nous verrons combien cela conditionne l’ensemble des éléments qui seront développés à la suite, nous pouvons avant toute chose identifier les fondements de la pensée pragmatique. Courant philosophique anglo-saxon, le pragmatisme consiste en une remise en cause systématique de toutes les catégories sur lesquelles nous fondons habituellement nos certitudes, en priorité desquelles le langage lui-même dont on souligne le caractère contingent.

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Flesh and Bone : mon corps e(s)t moi

Flesh-and-Bone

A l’heure où les problématiques sociétales et leur représentation par les séries télévisées sont devenues un critère de qualité et un argument critique de premier plan, parfois au dépend du simple plaisir de visionnage ou d’un véritable travail en profondeur des questions traitées, Flesh and Bone, la mini-série proposée par Starz, n’hésite pas à déstabiliser nos évidences en s’attaquant à un sujet difficile, celui de l’inceste, sans faire l’impasse sur ses aspects parfois dérangeants.

Un peu vite présentée comme le Mozart in the Jungle de la danse classique, Flesh and Bone propose pourtant bien plus que la découverte d’un milieu relativement hermétique et la déclinaison de ses excès urbains. Très vite, il apparait, en effet, que son propos sera ailleurs ; très vite une ambiance malsaine et une mise en scène appuyée des corps à l’écran nous indiquent que nous ne sommes pas ici dans la dramédie de mœurs.

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