Sériesophie

Fargo, la forme et le fond

Cet article a fait l’objet d’une publication antérieure sur le site Smallthings.fr

Fargo

Si la saison 1 de Fargo pouvait encore passer pour un OVNI télévisuel, un moment de grâce impossible à réitérer, la saison 2 nous confirme que nous avons là affaire à une très grande série, parfaitement maitrisée, pensée et mise en œuvre. Bien sûr les acteurs sont bons, la bande-son est géniale, la réalisation relève du grand art, mais plus que la rencontre d’excellents professionnels, Fargo nous propose un monde.

Un monde fait de paroles et de silence, de récits captivants et de quotidien, de références et d’incommunicabilité, un monde dans lequel les évènements suivent irrémédiablement leur cours, scellant sans pitié les destins individuels, sans pour autant qu’il soit possible d’y apposer un sens quelconque, un monde fictionnel qui joue au réel lorsque le réel qu’il nous présente se vit à travers les innombrables et inconciliables récits de ses personnages…

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You’re the Worst en quête de l’authenticité

Cet article a fait l’objet d’une publication antérieure sur le site de Smallthings.fr

You're the Worst

Dans un article consacré à New Girl, j’expliquais comment cette série exprimait un besoin très contemporain d’affronter les difficultés de l’existence avec légèreté. La saison 2 de You’re the Worst nous propose d’approfondir encore ce point de vue en nous démontrant brillamment les limites de cette position.

S’il fallait définir You’re the Worst, nul doute que ce qui la décrirait le mieux serait son air de ne pas y toucher. Non seulement c’est une comédie romantique qui joue à ne pas l’être mais c’est surtout le portrait de personnages qui font mine d’être blasés de tout, cyniques et imperméables aux émotions. C’est d’ailleurs sur ce ton que nous les avions quittés en fin de saison 1 qui nous les montrait emménager ensemble sur un prétexte, presque un malentendu.

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Les séries et la famille

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Si l’on prend la peine d’observer au grand angle les séries, nous pourrions être surpris par la large proportion de celles dans lesquelles les familles sont tout simplement absentes ou pour le moins anecdotiques. En effet, alors qu’elles sont très clairement un thème récurrent et un sujet constant de célébration, force est de constater que leur place est en réalité beaucoup plus restreinte qu’on ne pourrait le penser.

Bien sûr, certaines intrigues se passent très bien de l’intimité de cet espace privé et se déroulent exclusivement en dehors de la sphère familiale. C’est le cas des nombreux Procedurals médicaux, judiciaires et autres dont le cas de la semaine constitue le cœur du récit.

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Séries et normalité

Mr Robot

Plus on élargit sa culture sérielle et plus on commence à y déceler des motifs récurrents. Parmi ceux-ci, le traitement du sentiment individuel de l’anormalité, comme marginalité mais aussi comme singularité, saute assez rapidement aux yeux. On ne compte en effet plus les héros sortant de l’ordinaire, du plus farfelu au plus génial, du plus admirable au moins enviable.

Bref, c’est bien connu, les gens « normaux » sont sans histoire. Il est donc assez logique que l’on en rencontre peu dans les récits. Corrigeons cependant immédiatement cette évidence en remarquant que si les génies et autres super-héros constituent une partie non négligeable des personnages peuplant les séries, ce format adopte néanmoins une position spécifique vis-à-vis de cette question.

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Emotions sérielles

Enlightened

J’avais examiné dans un article précédent en quoi l’on pouvait considérer le plaisir comme un critère pertinent pour critiquer une série. Or, si l’on s’y penche un instant, la dimension émotionnelle, si elle reste largement impensée, constitue pourtant un élément majeur de nos expériences sérielles.

En effet, si la fiction nous pousse à réfléchir, à évaluer certaines certitudes morales, à tester des scénarii pour inventer l’avenir, le tout nourrissant notre imaginaire et ouvrant ainsi le chemin des possibles, c’est surtout parce qu’elle nous prend par les sentiments et nous fait vibrer avec elle que la fiction dispose d’une telle emprise, d’une telle puissance de persuasion. Car plus que tout discours rationnel et argumenté, en nous faisant rire ou pleurer, frémir ou rêver, nos fictions s’imposent à nous avec la force de l’évidence. Evidemment qu’elles ont raison puisque nous en expérimentons l’effet concret et immédiat sur nous-mêmes.

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Sexisme et principe de réalité : le cas Sons of Anarchy

Sons of AnarchyLa question du sexisme se voit régulièrement opposer un argument-massue, parce difficilement contestable : celui de n’être que la représentation d’une réalité. Et de fait, on ne peut nier l’existence de faits sexistes.

Bien sûr, nous pouvons défendre une conception différente de l’art, plus engagée que simple miroir du monde. Nous ne pouvons cependant occulter la place prépondérante que tient le réalisme dans notre rapport à la fiction et l’immense quantité de séries, notamment, dont la prétention à reconstituer un monde, qu’il nous soit lointain géographiquement, chronologiquement, professionnellement ou sociologiquement, représente l’argument principal. La caution qu’apportent sur beaucoup d’entre elles les experts/consultants en atteste, la recherche de l’authenticité préoccupe beaucoup les créateurs, autant que le public qui n’hésitera pas à rejeter un récit qu’il ne trouvera pas assez crédible.

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Ce que les Zombies nous disent de nos sociétés

the walking dead

En écoutant un de mes podcasts séries préférés (Totally Tubular de TV.com), il y a peu, j’y ai relevé une question qui m’a intéressé : que signifie la fascination culturelle actuelle pour les zombies ? De fait, il s’agit, depuis quelques années, du thème horrifique le plus mobilisateur et décliné.

Or, en bon lecteur de Stephen King que je suis, je me souviens comment il nous expliquait, dans Anatomie de l’horreur, combien la forme que prenaient nos peurs était profondément liée aux enjeux sociaux du moment. Il démontrait ainsi, par exemple, que la mode des films sur les maisons hantées pouvait largement se justifier par l’importance économique que représentait alors l’achat d’une maison.

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Le plaisir comme critère ?

EPISODES

Nous pouvons tous le reconnaitre, si nous avons commencé à nous intéresser aux séries télévisées, ce qui nous a amené à en regarder de plus en plus avec le temps, c’est avant tout le plaisir que nous en retirions.

Que ce soit par les rires qu’elles provoquent, l’admiration artistique qu’elles inspirent, les liens qu’elles tissent entre nous et des versions rêvées de nous-mêmes, les après-midis d’hiver sous la couette auxquels elles nous convient, même les gros sanglots qu’elles arrivent parfois à sortir de là où l’on s’y attendait le moins, les séries nous parlent d’abord le langage de nos émotions et touchent à ce qui nous est le plus proche, intime, parfois physique. Elles se ressentent avant tout.

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Les séries en mode Ego Trip

Wonderfalls

J’ai déjà exprimé par ailleurs combien, pour moi, les séries offraient un véhicule idéal à l’imaginaire collectif et contribuaient ainsi fortement à modeler les manières de penser de nos contemporains. Il est dès lors d’autant plus éclairant de constater combien elles se plient volontiers à la mise en lumière de la subjectivité de certains de ses personnages.

En effet, si je vais tenter ici de montrer combien cette valorisation s’explique autant, si ce n’est plus, par des exigences structurelles que par une influence idéologique à proprement parler, ce mécanisme n’en est pas moins pertinent pour comprendre la manière dont le point de vue individuel s’est imposé comme premier et naturel nos cultures.

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Fear The Walking Dead et la politique

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Dans un article précédent, consacré à l’utilité individuelle des séries, j’avais déjà expliqué en quoi l’on pouvait considérer que les fictions que l’on choisit de côtoyer pouvaient nous rendre meilleurs en nous permettant de mieux comprendre d’autres points de vue et d’appréhender avec plus de finesse la complexité morale.

Cette idée n’est pas neuve et est en réalité défendue par plusieurs auteurs reconnus de l’autre côté de l’Atlantique, comme Martha Nussbaum par exemple. Elle faisait d’ailleurs récemment l’objet d’un article relayant une expérience de psychologie sociale menée à partir de ce postulat.

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