Viol : 1 sujet, 2 séries

Sweet/Vicious et 13 Reasons Why, comparaison (très) critique

Avertissement :

  • Comme son titre l’indique, cet article aura pour objet la représentation du viol et pourrait donc être difficile à supporter pour certains.
  • L’analyse proposée portera sur l’ensemble des premières saisons des deux séries citées ci-dessous et contiendra donc des spoilers.
  • La série « 13 Reasons Why » ayant beaucoup touché certains, je prends la peine de préciser que, si mon propos n’est pas de les blesser, il pourrait cependant heurter ceux qui s’y sont beaucoup investis.

N.B. : Une partie des réflexions que je livrerai ici a déjà été abordée dans l’émission 4×25, consacrée à 13 Reasons Why. Je ressentais cependant le besoin de les développer par écrit.

Toutes ces précisions étant faites, je me lance :

Cela fait quelques mois déjà que cet article germe en moi sans être tout à fait sûre de la forme qu’il prendrait en sortant. Si cette saison a, en effet, comme toujours, été marquée par beaucoup de plaisir et d’émotions pour la sériephile que je suis, elle s’est également démarquée par la puissance de l’engagement personnel que j’ai pu ressentir à l’occasion du visionnage de 3 séries en particulier : Sweet/Vicious, 13 Reasons Why et Big Little Lies.

Je laisserai de côté la dernière ici, qui, quoique traitant de thématiques similaires, me semblait moins comparable, vu son statut de série « prestige », mais également parce qu’elle est la seule des trois à ne pas se présenter comme un Teen Drama, « avec des jeunes pour des jeunes ».

Quant aux deux restantes, la quasi obsession que j’ai expérimentée à leur sujet s’explique par une opposition, parfaitement symétrique en puissance, des émotions qu’elles m’ont inspirées. Alors que mon amour pour Sweet/Vicious lui a été acquis dès le Pilote et s’est métamorphosé en un impossible deuil à l’annonce de son annulation, mon mépris pour 13 Reasons Why s’est vite changé en une colère misanthrope grandissante au fur et à mesure que je ne pouvais que constater l’unanime enthousiasme qu’elle provoquait.

Par cette comparaison, j’espère pouvoir expliquer ces sentiments et la raison pour laquelle ils me semblent n’être que les deux faces d’une même pièce.

Eléments de narratologie

Certains me diront peut-être que les deux séries ne portent pas vraiment sur le même sujet puisque 13 Reasons Why se présente comme une fiction sur le suicide, voire, ça a été beaucoup dit et écrit, sur le harcèlement, bien plus que sur le viol. Sans doute est-ce là, de fait, la première critique que je formulerai.

Il n’est évidemment pas question de reprocher à une série d’avoir choisi un propos, une thématique, plutôt qu’une autre. Cependant, dans le cas qui nous occupe, les raisons pour lesquelles, cette série en particulier, ne présente pas le viol comme un de ses sujets centraux se révèlent très problématiques.

Evidemment, dire que 13 Reasons Why était une série sur le viol aurait constitué un Spoiler majeur qu’elle cherche, jusque dans son titre, à tout prix à éviter puisqu’il s’agit, en quelque sorte, du clou du spectacle. Déjà rien que de le dire ainsi, ça fait froid dans le dos mais c’est très cyniquement le cas.

Le viol d’Hannah, tout comme d’ailleurs celui de Jess auquel elle assiste, ne sont que des « raisons » destinés à expliquer son geste. Une parmi toutes les autres, ou presque, puisque, on le comprend assez vite, le reste constitue bien plus une accumulation de petites choses que de véritables « raisons ».

Pourtant, si la série insiste pour traiter à égalité chacune d’entre elles, elle s’arrange également pour maintenir le spectateur, et Clay dont il est invité à adopter le point de vue, en haleine en lui promettant une descente progressive mais profonde en enfer.

Quoique n’étant pas son sujet, le viol n’en est donc pas moins la caution principale, justifiant le maintien du suspens jusqu’au bout. Bref, c’est un prétexte narratif. Ce n’est, de fait, pas le sujet principal, ce qui rend son utilisation parfaitement malsaine.

Non seulement il n’est jamais traité comme sujet en tant que tel, méritant qu’on s’y attarde mais il nous est jeté à la figure comme la pièce finale, mais somme toute superflue tant Hannah se trouve déjà à ce moment dans un état second, d’une toile bien plus vaste.

Plus encore, il s’intègre parfaitement dans la trajectoire d’Hannah sans, à aucun moment, se voir accorder une place à part. On aurait pu espérer, par exemple, une remise en perspective de tout ce qu’elle a vécu précédemment à l’aune de cette agression d’une violence sans commune mesure. Au contraire, celle-ci constituera le point de départ de toute l’élaboration narrative à laquelle on aura assisté jusque-là.

On peut, bien sûr, imaginer que l’objectif visé ait été de montrer le fil invisible qui lie entre eux tous les comportements sexistes, du plus anodin au plus grave. Pourtant, en se concentrant exclusivement sur la psychologie d’Hannah, la manière dont elle a (très mal) vécu ces évènements, 13 Reasons Why n’offre pas les outils nécessaires pour mettre en lumière ces liens.

Au mieux, elle situe tout sur un même plan, au pire, elle décrédibilise totalement la portée critique qu’elle pourrait avoir en présentant son héroïne comme une chieuse hystérique, tout en utilisant le viol (et le suicide qui s’en suit) comme un argument massue imposant le silence à tous ceux qui seraient tenté de penser que certaines raisons sont un peu tirées par les cheveux. L’anti-sexisme par le chantage affectif !

Bref, avant même de s’être penché sur la représentation du viol que proposent nos deux séries, il semble donc essentiel de prendre conscience combien les choix narratifs en eux-mêmes sont importants, puisqu’ils forment le cadre qui conditionne l’ensemble de ce qui s’y trouvera représenté.

Pensons que très longtemps, et encore (trop) souvent actuellement, le viol (et/ou le meurtre d’un proche) n’a constitué pour les fictions qu’un point de départ, ou un « obstacle » pour mieux rebondir, destiné à donner de l’épaisseur psychologique et des motifs à un héros, lorsqu’il ne forme pas juste une toile de fond, décors et contexte.

C’est d’ors et déjà sur cette construction narrative du viol que Sweet/Vicious se démarque et s’inscrit en rupture. Car, s’il y donne motivation et profondeur à ses héroïnes, il est loin de se cantonner sagement au rôle de prétexte ou de contexte.

Il est le cœur vibrant de la série, et ce non seulement pour la psychologie de ses personnages,  ou la dénonciation d’un « phénomène » de société, mais parce qu’il en fait, non pas un évènement ou un sujet, mais une expérience, non seulement vécue mais réinvestie en permanence par des personnages en mouvement.

Il est passé, présent et futur. Il est la clé de réinterprétation de tout ce qui arrive non seulement à Jules, mais à tous les autres. Il était sujet, il devient parole à travers la voix des personnes qui l’ont vécu. Il était silenciation, il devient volonté. Il était la fin, il devient vie. Il était destruction, il devient puissance. Il était négation, il devient affirmation.

Car Sweet/Vicious n’est pas non plus une série sur le viol. C’est, bien sûr une série qui prend le viol au sérieux, mais c’est bien plus une série sur des individus que le viol tente de réduire au rang de victimes, de définir comme objet d’agression, et qui reprennent sans relâche le statut de sujet dont on estime trop souvent que ce qu’elles ont vécu aurait dû les déposséder.

C’est une série qui prend suffisamment le viol au sérieux pour l’empêcher de réduire au silence et à l’anonymat les personnes qui le subissent, qui montre combien à l’agression s’ajoute trop souvent la honte et le soupçon, le tabou et l’impunité.

Et tout ça simplement parce que, pour une fois, le viol n’est pas un prétexte narratif ! Fallait y penser.

Eléments de représentation

Ces précisions posées, passons à présent à la comparaison proprement-dite de la manière dont nos deux séries représentent le viol. Pour ce faire nous distinguerons les éléments suivants : l’agresseur, la victime, le contexte et les répercussions.

Les agresseurs

Si les deux séries nous montrent le viol de leur héroïne, il ne s’agit cependant ni chez l’une ni chez l’autre d’un acte isolé. Cependant, et ça fait toute la différence, l’une nous propose un agresseur unique pour deux agressions tandis que l’autre en révèle autant qu’elle va traiter de faits différents (en moyenne un cas par épisode).

La tonalité n’est donc d’emblée pas du tout la même puisque, alors qu’elle prétend dénoncer un climat fait de micro-agressions sexistes, au moment de traiter les faits les plus graves, 13 Reasons Why fait marche arrière en personnalisant à outrance cette violence.

C’est sans grande nuance qu’il nous est fait le portrait d’un sportif (on sait combien cette catégorie est centrale dans la représentation des lycées américains), fils de parents très aisés (et donc forcément livré à lui-même et persuadé que tout lui est dû), « beauf » et « fêtard », protégé par une cour d’amis, sans qu’on ne sache trop pourquoi. Bref, le viol a un nom et un visage, par ailleurs peu avenant, et il suffirait de le piéger pour que justice soit rendue.

Le propos est beaucoup plus nuancé dans Sweet/Vicious. Bien sûr, Nate est lui aussi un sportif, populaire et bénéficiant probablement des avantages de sa famille. Mais il est également un ami et un petit-ami, certes pas parfait mais néanmoins prévenant et sympathique, dont il ne sera pas facile de faire le deuil. Le choc, la surprise, d’avoir ainsi été agressée par une personne de confiance rend par conséquent la reconnaissance de ce qu’il s’est passé encore plus compliquée.

Véritable personnage à part entière, il est doté d’une psychologie, de motivations complexes qui évitent d’en faire un simple croque-mitaine. Moins élaborés, les autres, par la monstration de leur souffrance, de leur peur, de leur faiblesse sont également ramenés au rang d’humains plus que de monstres, au même titre que Carter qui, quoiqu’ayant été tué dans des circonstances relativement légitimes, continue à exister et à avoir une voix à travers l’inquiétude qu’exprime son frère Tyler face à sa disparition inexpliquée.

Par ailleurs, Nate n’étant pas le seul violeur que nous propose la série, ce portrait, relativement stéréotypé du mec populaire incapable de comprendre qu’on puisse lui dire non, se voit décliné en suffisamment de visages et de noms pour révéler, plus qu’une psychologie dérangée, une tolérance, sociale et institutionnelle autant qu’individuelle et culturelle, pour ce genre de comportement.

La banalité du viol sur les campus qui nous y est dépeinte révèle combien le phénomène finit par paraitre normal, naturel, et donc inévitable, comme un rite de passage auquel les filles ayant accédé à l’université devrait survivre, soit en étant « assez intelligentes », donc sages, pour y échapper, soit en étant capables de mordre sur leur chique pour ne pas abandonner leurs études et retourner dans le giron familial (qu’elles n’auraient peut-être jamais dû quitter), puisqu’au traumatisme s’ajoutera la plupart du temps l’absence de reconnaissance de ce qui leur est arrivé et donc la possibilité de recroiser sans arrêt leur agresseur.

Là où la charge critique de 13 Reasons Why est largement neutralisée par la personnalisation et la psychologisation à outrance de ses problématiques, Sweet/Vicious multiplie les indices laissant apparaitre un fait de société.

Les victimes

Dans les deux séries les victimes sont de très jolies jeunes filles intégrées dans leur milieu. Mais, alors que Jules semblait être l’étudiante type, aimant faire la fête et s’amuser avec ses amis, Hannah se présente plutôt en bout de course dans sa dépression. Déjà largement anesthésiée par tout ce qu’elle a estimé nécessaire de nous raconter auparavant, son agression ne semble représenter qu’un coup de grâce pour elle.

Par ailleurs, alors que le point de vue adopté sur Jules par la série est extérieur, là où c’est la plupart du temps la voix D’Hannah elle-même qui nous fait savoir ce qui lui est arrivé, les motivations de la première apparaissent bien plus faciles à appréhender. Chaque étape de la manière dont elle vit ce qui lui est arrivé sont parfaitement exposée de manière à permettre à n’importe qui de comprendre ce que ça fait et comment on s’en sort, et en même temps on ne s’en sort pas.

La psychologie d’Hannah nous reste, par contre, beaucoup plus hermétique. Sous couvert d’adolescence, on ne cherche pas vraiment à expliquer ses réactions, en insistant plutôt sur leur acceptation quoi qu’il en soit. Sans véritable compréhension, le public est invité à une tolérance inconditionnelle bien plus qu’à l’empathie.

Ce portrait pourra être reçu de deux manières très différentes de la part des spectateurs. Certains, prenant au sérieux chacune des raisons qu’elle avance, pourront voir dans son agression la confirmation du bien-fondé de son attitude et de son propos, une forme d’approbation par la fin.

D’autres, plus critiques sur sa manière de présenter et de réagir aux évènements, pourraient, par contre, je le craints, lui coller une étiquette de chieuse et recevoir son viol comme un « juste retour des choses », comme pour l’enfant qui criait au loup, ou le gosse qui reçoit une gifle car « comme ça il aura une raison de se plaindre ».

J’ai conscience de l’horreur absolue que constitue cette manière de présenter les choses. Je ne suis malheureusement pas certaine que la série puisse s’en préserver et le fait d’y prêter ainsi le flanc me met assez mal à l’aise, tout autant que le soulagement (!) que le viol d’Hannah, par le poids de sa légitimité dans la crédibilité de son discours, pourrait apporter à d’autres.

Quant aux autres victimes que nous présentent les deux séries, elles ne font que renforcer encore ce qui a été dit ici. La multiplicité des profils et des situations dans Sweet/Vicious permet une compréhension large du phénomène, ainsi que d’instaurer une forme de solidarité entre ces différents cas en évitant de stigmatiser l’une ou l’autre « imprudence ».

Par contre, loin du partage d’une expérience et d’une condition commune, le viol de Jess ne fait que renforcer ce qui la sépare de son amie. Notons, pour commencer que, lui aussi, se présente, non comme un sujet à part entière, mais comme une excuse, et notamment, pour Hannah, dont il reste même alors principalement question, une raison de s’en vouloir. Mais même plus tard, il servira à justifier le comportement irrationnel de Jess après avoir pris connaissance des cassettes en la poussant à la dénégation.

Or, si ce refus d’accepter la réalité se révèle bien pratique pour maintenir le suspens, il est beaucoup moins cohérent si l’on cherche à comprendre ce que vivent les victimes. Elle admettra d’ailleurs sur la fin avoir toujours su ce qui lui était arrivée, ce qui rend sa petite escapade seule chez son agresseur, sous prétexte de faire cracher le morceau à son petit-ami, Justin, (qui lui aussi savait mais a préféré ne rien dire !!!) d’autant plus incompréhensible.

Le contexte

Ca n’a pas encore été souligné mais Hannah est une fille très sage : elle ne couche pas, elle ne boit quasiment jamais, elle respecte la loi (parfois même jusqu’à l’irrationnel. Mais encore une fois la suite lui donnera raison donc on n’a encore une fois pas d’autre choix que d’admettre que c’était justifié.).

Ce choix de caractérisation donnera dès lors à son viol une aura d’irréprochabilité particulièrement dérangeante. Au même titre qu’il n’est pas possible de douter de la monstruosité de son agresseur, la série semble ne vouloir nous laisser aucune possibilité de penser que son héroïne aurait peut-être « mérité » ce qui lui est arrivé. C’est donc dans un contexte d’innocence la plus pure que son agression prend place.

Cette pureté des enjeux, ce besoin de la placer au-dessus de tout soupçon est problématique car il entérine l’idée selon laquelle le soupçon peut, autrement, intervenir. Dès lors cette représentation du viol passe totalement à côté de son rôle d’aider les victimes potentielles à sortir de la honte et du silence auxquels leur agression les force constamment. Bien au contraire, elle contribue à perpétuer la culpabilisation des femmes qui n’auraient pas été parfaitement sages et prudentes.

Ce qu’a subi Jules, d’un autre côté, est loin d’être aussi « lisible ». Il ne fait évidemment aucun doute qu’il s’agit de relations sexuelles non consenties. Néanmoins, tout deux étaient totalement saouls, ils avaient passé une bonne soirée ensemble, elle s’était d’elle-même couchée dans son lit, au point que l’un de leurs amis était sincèrement convaincu qu’elle avait dragué Nate. On peut, dès lors, sans difficulté imaginer que Nate le pensait aussi et qu’il avait donc fait le premier geste en se basant sur cette impression, tandis que son endormissement instantané juste après nous confirme son état second.

Par ailleurs, ils étaient suffisamment proches pour que Jules elle-même hésite à le contacter le lendemain, comme pour « régler un malentendu », et que Nate puisse réinterpréter entièrement l’histoire en passant sous silence l’absence de consentement. Sa version est tellement crédible qu’une fois acculé, il peut se permettre de la raconter à Kennedy sans trop de risque.

On le voit, rien ne semble ici avoir été fait pour faciliter notre  jugement. Tout, par contre, a été mesuré pour concentrer uniquement le débat sur la question du consentement. Jules était-elle saoule, habillée sexy et chaleureuse avec Nate, oui ; Nate l’a-t-il violé, oui ! Aucun soupçon n’est permis, non parce que Jules serait parfaite mais parce que ce qui doit focaliser notre attention dans ces cas-là, ce n’est pas le comportement de la victime mais celui du violeur.

Les répercussions

On le sait, Hannah finit par se suicider. On sait aussi que c’est suite à son agression qu’elle se décide et commence à préparer ses casettes. Si elle était déjà mal avant, on peut donc estimer que son viol revêt une place particulière dans sa trajectoire, c’est le fond, le bout de sa descente aux enfers.

Elle n’en tentera pas moins de faire entendre ce qui lui est arrivé auprès d’un représentant de son établissement scolaire, tout comme Jules. Son objectif n’est cependant pas la justice mais plutôt l’attention, la reconnaissance de son importance en tant que personne. Elle ne l’obtiendra pas parce qu’elle s’adresse à un professionnel dont le rôle est avant tout de maintenir la discipline, et donc de rapporter ce genre de faits graves aux autorités compétentes. Si ça peut paraitre insensible, ça n’en est pas moins pragmatique.

Si l’université ne répond pas aux attentes de Jules, par contre, c’est bien par un déni de justice, que ce soit en la dissuadant de porter plainte au début ou en évitant toute sanction pour Nate, une fois celui-ci reconnu coupable. Enfin, le bureau du procureur lui-même semble participer à l’impunité dont bénéficient les violences sexuelles. On y montre également les premiers pas à travers les sites d’information, la police et les urgences.

C’est par conséquent d’abord sur le plan de la justice que va se situer la réaction de nos héroïnes, en forçant la honte et la peur à changer de camp, ce qui, pour l’impact social du propos de la série, est évidemment bien plus radical et exigeant qu’une injonction à être attentif aux gens qui nous entourent.

En dehors de sa tentative auprès de l’éducateur, nous ne savons rien de ce qu’a vécu Hannah entre son agression et son suicide. La série n’explore dès lors les répercussions du viol qu’à travers le personnage de Jess, dont on a déjà dit combien le comportement était incohérent. Au final, en dehors de la mort, on ne voit pas bien quelle autre issue la série nous propose.

Dans Sweet/Vicious, au contraire, on explorera non seulement les répercussions sur la psychologie de Jules, mais également sur son entourage, sa sociabilité, sa scolarité, sa vie amoureuse et sexuelle, sa meilleure amie, et finalement la société dans son ensemble. La place d’Ophélia est en cela primordiale, en rappelant qu’une culture où le viol est banalisé, invisibilisé et neutralisé par son impunité n’est pas seulement l’affaire des victimes mais bien l’affaire de tous.

Le consentement

Je ne pouvais pas terminer cette comparaison sans parler de la manière dont le consentement, pour l’effet miroir qu’il apporte, est traité dans nos deux séries. De même que chacune met en scène le viol de leur héroïne, elles proposent, en effet, toute deux au moins une scène d’amour entre celles-ci et leur Love Interest respectif, deux garçons adorables par ailleurs.

Or, tandis que Sweet/Vicious poursuit là aussi son indispensable réinvestissement de notre imaginaire culturel en faisant de chaque moment d’intimité entre Jules et Tyler une occasion renouvelée de constater combien le consentement, notamment et aussi exprimé explicitement, peut, contrairement à ce qu’affirment certains, être sexy, 13 Reasons Why se montre beaucoup plus ambigu, en présentant une Hannah repoussant Clay tout en exprimant, en off, son souhait qu’il ne parte pas.

Autant dire que pour lutter contre le viol, il n’y a pas pire que ce double langage dont on affuble déjà si souvent la gente féminine ! Elle dit non, mais en réalité elle aimerait bien ! Combien de viols sont partis de ce principe que les femmes sont de toute façon irrationnelles et mystérieuses et qu’il ne faut, par conséquent, ni les écouter, ni chercher à les comprendre ?

Pour finir

A l’heure de terminer cet article, dont je n’imaginais pas en le commençant qu’il serait aussi long, je crois à présent mieux comprendre pour quelles raisons Sweet/Vicious et 13 Reasons Why ont cette saison enflammé mes tripes de deux ressentis aussi puissants qu’opposés. C’est que la manière dont elles traitent le viol me semble aussi bénéfique d’un côté qu’elle ne m’apparait dangereuse de l’autre.

Je terminerai d’ailleurs en soulignant qu’en ce qui me concerne, je suis convaincue que Sweet/Vicious a bouleversé si profondément la donne, en matière de traitement de la question du viol, que, malgré son annulation précoce, elle marquera définitivement une rupture dans la manière d’envisager sa représentation. Je sais, en effet, qu’il ne me sera désormais plus possible de revenir en arrière sur ces questions et je crois et j’espère qu’il en sera de même pour beaucoup de créateurs de fictions à l’avenir.