Masculinité, ce que nous disent les séries

Lorsque l’on se veut un observateur et analyste de la culture médiatique contemporaine, en tant que révélatrice de visions du monde collectives, on ne peut évidemment rester indifférent à une onde de choc aussi vaste que celle provoquée par l’affaire Weinstein, qui semble de proche en proche faire sauter de plus en plus de verrous et être l’occasion d’une véritable prise de conscience.

Tout cela ne tombe cependant pas du ciel et nous avons vu se mettre en place ces derniers temps, dans les fictions comme dans les prises de positions de stars féminines, un discours féministe cool et conquérant. Celui-ci s’est cependant présenté principalement comme une révision de l’identité féminine destinée à dépasser les clichés sexistes.

Bien sûr, modifier l’image des femmes contribue inévitablement à déplacer celle des hommes dont les relations avec celles-ci se trouvent quelque peu chamboulées mais, jusqu’ici, le mouvement semblait se faire sans eux, ce qui les reléguait souvent au statut de simples spectateurs n’ayant d’autre choix que l’adaptation, position inconfortable s’il en est qui ne pouvait se traduire que par une résistance stérile.

Avec la question des violences sexuelles et des nombreux moyens par lesquels s’impose quotidiennement la domination masculine, il devient plus difficile de ne pas se sentir interpellé. Certains s’accrochent encore à leur #NotAllMen et préfèrent se replier dans le déni auquel s’est toujours cognée la parole des femmes jusqu’ici, mais la teneur et surtout l’ampleur des témoignages sont telles que cette position devient de moins en moins tenable.

Plutôt que de tomber dans la repentance et un contrôle de soi renforcé, peut-être serait-il temps pour les hommes d’entamer un travail équivalent à celui que réalisent les féministes depuis déjà longtemps sur leur condition genrée. Qu’est-ce, au fond, que la masculinité ? Comment se vit-elle ? Vers quoi évolue-t-elle ?

N’étant moi-même pas un homme, je ne pourrais évidemment prétendre réaliser ce travail à leur place. Mais puisque je traite ici de séries, comme objets culturels susceptibles de nous renseigner sur nos évidences actuelles, je me suis dit qu’il serait peut-être intéressant d’observer ce que celles-ci nous disent de la masculinité et des manière de la vivre aujourd’hui afin de faire le point avant d’envisager son avenir.

Or, contrairement au stéréotype masculin traditionnel qu’on aurait pu s’attendre à retrouver transposé tel quel dans nos fictions, le moins que l’on puisse dire est que la première image que celles-ci nous donnent des hommes est plutôt celle d’individus en crise, en insécurité, voire carrément fragiles face à des figures féminines bien plus fortes et sûres d’elles-mêmes.

Ce modèle se retrouve, bien entendu, dans les drames du cable du début des années 2000 qui se sont largement construits sur cette figure anti-héroïque, tels The Soprano ou Mad Men, mais on la retrouve actuellement beaucoup dans les dramédies, qui semblent accompagner ce sentiment de perte de repère comme Louie, married, Man seeking Woman ou Togetherness par exemple, sans oublier les sitcom et drama grand public qui ont multiplié à l’envi les « couples » de personnages dans lesquels les femmes représentent le sens pratique, l’ambition, la raison, là où sont abandonnés aux personnages masculins les côtés plus maladroits, naïfs, rêveurs, mais probablement aussi drôles et attachants. Je pense bien sûr à des procedurals très populaires comme X-files, House ou Castle, mais aussi à Eric et Donna dans That 70’s Show, Bart et Lisa ou Homer et Marge, Joe et soit Dawson, soit Pacey, ça marche de toute façon, Phil et Claire Dunphy, …

Cette fragilité masculine trouve à s’exprimer à tous les niveaux. Il s’agit d’une insécurité personnelle se traduisant par le doute et des symptômes psychologiques, d’une sexualité contrariée, voire médiocre et d’une remise en cause de leur statut et autorité au sein de la famille.

La question semble donc bien être depuis un certain temps déjà au cœur des thématiques qu’explorent les séries télévisées. Ceci dit, le risque d’y apporter une réponse rapide et se contentant de perpétuer les clichés y est aussi assez présent. Ainsi, la crise de la masculinité peut rapidement être interprétée comme un simple renversement des rapports de force transformant des hommes fragilisés en victimes de femmes qui n’hésiteront jamais à les manipuler, profiter de leur naïveté et les humilier. Une telle interprétation comporte l’avantage de maintenir une séparation nette des genres tout en s’alimentant d’une misogynie ancestrale, rétablissant ainsi à bon compte la supériorité morale des prétendues victimes.

Mais même sans tomber dans ce travers, on ne peut que constater que si la masculinité est une construction sociale, elle se construit avant tout en contraste avec la féminité. Cela va se marquer dans les choix narratifs qui vont avoir tendance à reproduire un schéma faisant du héros à la fois l’incarnation de l’aventure, de l’action et donc du désir de liberté et le dépositaire d’une responsabilité, toute paternelle, à laquelle les femmes de son entourage ne cesseront de le rappeler.

On va donc souvent se trouver en présence de fictions nous présentant l’appel, du devoir (public) ou de la créativité, contrarié par les injonctions sociales et quotidiennes. Sans doute n’est-ce pas un hasard si la figure du génie est encore aujourd’hui exclusivement masculine. De fait, les héroïnes confrontées au même appel ne se voient jamais exemptées de la nécessité de combiner les deux, là où le héros ne pourra pleinement remplir son rôle que si on le laisse se distancer, un  temps au moins, des obligations familiales.

L’opposition se marquera également, par ailleurs, dans les choix de couples ou paires mis en scène qui privilégient beaucoup les différences et les oppositions, qu’ils soient mixtes ou pas, puisque ça crée une dynamique interne au récit. Mais si celle-ci est, en effet, similaire quelle que soit leur composition, il n’en sera par contre pas du tout de même de la manière dont elles résolvent leurs tensions internes. Ainsi, là où les duos mixtes génèreront une tension sexuelle, qui peut être ou non consommée mais qui maintiendra la nécessité du conflit si l’on veut garder du piment, les duos d’hommes aboutissent assez rapidement à une forme d’équilibre faite de complicité virile.

Si la masculinité se construit en opposition à la féminité, elle se construit, en effet, également et de manière tout aussi importante dans l’identification aux pairs. Contrairement au féminin dont la biologie suffit à « expliquer » les caractéristiques, le masculin est d’emblée reconnu comme le résultat d’un travail, d’une éducation nécessitant de côtoyer d’autres hommes. Cela se traduit dans les séries à travers deux types de relation assez courants : la « bromance » et la relation père/fils. Toutes deux semblent incontournables dans la construction de la masculinité qui passe par la reconnaissance mutuelle, que ce soit dans la liberté d’être enfin soi-même entre soi et dans la transmission de responsabilités supérieures.

Une fois ces responsabilités supérieures, et avec elles la liberté qu’elles justifiaient, remises en cause par une indépendance accrue des femmes, on ne s’étonnera pas de trouver des hommes en crise, s’interrogeant sur leur place et leur utilité et finalement se retranchant dans les seuls domaines qu’ils maitrisent encore, comme l’incarnent les nombreux « workaholics » qui peuplent nos fictions.

Or, un retour pur et simple en arrière ne semble plus possible tant il exigerait des femmes qu’elles regagnent une position qu’elles ne semblent pas mécontentes d’avoir laissée derrière elles. On le voit, par exemple, avec Walter White, la volonté de réintégrer tous les attributs de la virilité ne se fait qu’au prix de son humanité tant ce pouvoir se construit sur l’ignorance et la passivité des autres.

 

La masculinité, en tant que reflet inversé de la féminité ne parait donc plus tenable que dans la lamentation ou la brutalité. Cela signifie-t-il pour autant que c’en est fini et que nous devrions tous danser sur son cadavre encore fumant ? Pas forcément. Encore faut-il être prêt à s’emparer de ces questions pour s’éloigner des seules catégories culturelles et proposer un véritable travail de réflexivité des hommes par les hommes et à l’avantage de tous.

Ainsi, par exemple, substituer à la distribution de rôles, en fonction du sexe, la notion de partenariat que ce soit au travail, à la maison, dans l’espace public ou dans l’intimité, pourrait représenter une solution d’avenir plus respectueuse de chacun. Quelques exemples sériels, comme Jane The Virgin ou The Americans, semblent en tout cas explorer cette piste avec pertinence.

Cet article complète le propos de l’émission 5×07 sur la masculinité.