Le plaisir comme critère ?

EPISODES

Nous pouvons tous le reconnaitre, si nous avons commencé à nous intéresser aux séries télévisées, ce qui nous a amené à en regarder de plus en plus avec le temps, c’est avant tout le plaisir que nous en retirions.

Que ce soit par les rires qu’elles provoquent, l’admiration artistique qu’elles inspirent, les liens qu’elles tissent entre nous et des versions rêvées de nous-mêmes, les après-midis d’hiver sous la couette auxquels elles nous convient, même les gros sanglots qu’elles arrivent parfois à sortir de là où l’on s’y attendait le moins, les séries nous parlent d’abord le langage de nos émotions et touchent à ce qui nous est le plus proche, intime, parfois physique. Elles se ressentent avant tout.

Pourtant, lorsque, après les avoir côtoyées sur ce mode pendant des années, vient le moment où l’on ressent le besoin de faire partager sa passion et de défendre ses goûts et dégoûts, la question du plaisir, longtemps première et évidente, devient suspecte et problématique. Comment, en effet, prétendre apporter une critique un tant soit peu objective d’une œuvre quelconque, si ce qui la motive reste largement déterminée par un critère qui l’est aussi peu ?

Bien sûr, on apprend à prendre du recul pour pouvoir apprécier des fictions qui ne nous étaient a priori pas destinées, que nous ne fassions pas partie de leur cible ou que le sujet ne nous intéresse simplement pas. Nous apprenons également à nous référer à un certain nombre de critères (voir l’article consacré au sujet) qui organisent et objectivent nos impressions, nous permettant de développer de véritables argumentations.

Deux écueils me semblent cependant importants à éviter : celui de croire que l’on échappe ainsi à toute subjectivité et celui d’être tellement obnubilé par une grille de lecture rigide que l’on en oublie que notre avis se destine avant tout à un public et que ce public vivra prioritairement ses découvertes sur le mode du plaisir.

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Bien que l’on ne puisse s’en contenter, le plaisir subjectif que nous prenons à regarder telle ou telle série ne peut donc être simplement occulté. Il reste, malgré ses défauts, le seul critère empirique dont nous disposions pour juger de la réussite ou non d’une fiction. Car ce qui provoque cette sensation est beaucoup moins anodin que l’on pourrait le croire à première vue.

En effet, si certaines séries nous font vibrer, si elles nous invitent à l’évasion, nous touchent, nous font rire, c’est qu’elles sont parvenues, d’une manière ou d’une autre, à nous parler de nous, de nos vies. C’est donc qu’elles ont rempli la fonction essentielle de toute fiction, à savoir mettre en résonance le particulier avec l’universel.

Cet écho des séries dans nos vies peut prendre les formes les plus diverses, de la simple identification à un personnage ou une situation à la mise en scène de schémas psychologiques, culturels ou anthropologiques largement inconscients.

Toujours est-il que, parce qu’il n’est rendu possible que si le récit adopte les codes culturels nous autorisant à le considérer comme vraisemblable, le plaisir, comme signe de cet écho en nous, peut, en vérité, être considéré comme bien plus pertinent qu’une simple opinion qui n’engagerait que nous.

Bien sûr, selon les attentes, le background culturel, les expériences vécues, nos personnalités éventuellement, nous ne ressentirons pas tous du plaisir devant les mêmes œuvres. Certaines pourront même nous provoquer un rejet catégorique là où d’autres s’extasieront. Prétendre échapper à cette dimension de l’expérience humaine me parait illusoire et condamné à se trouver sans arrêt contredit par les faits. Par contre, en prendre conscience peut peut-être nous aider à mieux envisager notre rôle de passeur de culture.

Bien moins qu’un avis objectif et définitivement vrai, c’est, en effet, de tisser des liens, d’établir des passerelles qu’il s’agit. Ni juge, ni bourreau, nous faisons œuvre d’accompagnateur, d’interprète, de transmetteur, non seulement de l’œuvre auprès du public mais aussi du plaisir que ces œuvres ont permis de faire vivre en nous, comme avatar d’autant de plaisirs potentiels chez les autres.