Critères d’analyse d’une série

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Quoiqu’il ne soit pas question de chercher ici la formule magique de l’objectivité critique, laquelle me parait être non seulement un leurre mais également vaine, car qu’en ferait-on, il me semble que définir des critères d’analyse permet d’interroger sa passion et approfondir sa lecture.
Pour déterminer ces critères, j’ai donc commencé par m’interroger sur les raisons qui me faisaient apprécier les séries que je suis (ou ai suivies). Toutes, en effet, ne m’apportent pas la même chose et mon amour pour Fringe ne repose pas forcément sur les mêmes ressorts que celui pour My Name is Earl. Il aurait bien sûr été possible de détailler et multiplier les critères à l’infini mais mon but était de me constituer un outil, une sorte de mini grille d’analyse, facile à retenir et à manier.

Pour commencer, voici donc les cinq éléments que nous soumettrons à l’analyse :
• L’intrigue : une bonne histoire intéressante, voire passionnante, avec ce qu’il faut de suspens et de rebondissements mais aussi avec la garantie d’une certaine clôture (même si nous sommes, dans le domaine de la fiction sérielle, face à un art de la répétition et du récit ouvert, un vivier potentiellement infini de nouvelles strates s’ajoutant à la structure de départ). Que l’on soit dans le tout feuilletonant ou dans l’épisode fermé, l’intérêt de l’histoire racontée est évidemment déterminant pour accrocher le téléspectateur.

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Les séries fonctionnant sur le suspens ou le mystère, le dévoilement de la vérité, sont évidemment celles pour lesquelles cet élément sera le plus important. C’est par exemple la raison pour laquelle, selon moi, la fin de Lost a provoqué autant de frustration. Cette série se présentait comme une accumulation de mystères au fur et à mesure des saisons pour se terminer sur le ton de la parabole ou du conte philosophico-mystique. Or, ce n’était simplement pas la promesse de départ. Les codes n’ont pas été respectés.

Si les enjeux narratifs sont importants pour éveiller et maintenir l’intérêt du public, il ne faudrait cependant pas leur accorder plus d’importance qu’ils n’en ont en réalité. En effet, leur potentiel de renouvellement et de transformation est probablement, lorsque l’on parle de séries, bien plus important. Combien de projets ont ainsi bu la tasse, malgré une histoire à priori énorme, parce qu’ils n’avaient pas anticipé l’aspect primordial de toute série, la durée.

• Les personnages : l’attachement, ou la fascination, que l’on peut ressentir pour certains personnages est également primordial pour expliquer le succès d’une série. Plus encore qu’au cinéma, ou même dans les romans « unitaires » (c’est-à-dire non sériels, comme chez Connelly par exemple), le temps que l’on va passer (investir) avec ces personnages exige que l’on se sente, pour une raison ou une autre, concerné par leur sort. Ceux qui ont vécu la mort et le deuil de leur personnage favori savent de quoi je veux parler.
Qu’il s’agisse d’identification, de sympathie, de fascination, de désir ou d’amour fou, toutes les raisons sont bonnes pour nous rendre accros. Un bon personnage à lui seul peut d’ailleurs nous fidéliser longtemps après que la série ait perdu tout autre intérêt. Comme ce serait le cas d’un vieil ami, il nous serait tout simplement inimaginable de savoir qu’il continue ses aventures, fussent-elles navrantes, sans nous. Nous voulons savoir ce qu’il devient. Ainsi, si demain la FOX ou tout autre réseau décidait de faire reprendre du service au docteur House, il serait assuré de me compter parmi ses fidèles.

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• L’univers : que l’on ait affaire à une construction imaginaire comme dans Game of Thrones ou une reconstitution qui se veut réaliste comme dans Treme, l’univers pose l’ambiance d’une série et peut également constituer l’argument principal de ce qu’elle a à proposer. La promesse de nous immerger dans les années 60 avec Mad Men, dans la vie de junkie avec The Corner ou un futur apocalyptique avec The Walking Dead est évidemment alléchante et la possibilité de vivre d’autres vies, dans d’autres mondes, constitue la raison d’être de toute fiction.
• La forme : mise en scène, écriture, construction narrative et dialogues, jeu des acteurs, photographie, musique, respect et jeu avec les codes et les références ; les possibilités pour les créateurs de séries de titiller la fibre artistique de son public sont infinies et certains s’en sont fait une spécialité. Selon leur sensibilité, les uns s’extasieront sur le jeu d’acteur de Jason Alexander et Julia Louis-Dreyfus, les autres sur la virtuosité des dialogues d’un épisode de Seinfeld ; les uns admireront l’intelligence de l’hommage rendu par Fargo au film qui l’a inspiré quand d’autres se réjouiront de ses idées de mise en scène. Ce ravissement-là justifie pleinement notre enthousiasme envers certaines séries.

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• Le propos : que cela soit voulu et réfléchi par ses créateurs ou pas, toute série tient un discours, explicite ou non, sur le monde en général et celui qui l’a vu naître en particulier. Que l’on nous raconte l’histoire de vikings, de vampires ou d’une famille « ordinaire », c’est toujours de nous que l’on parle ; et c’est d’ailleurs pour cela que ça nous passionne tant ! On peut ainsi être touché par le message politique de certains monologues d’Augustus Hill mais aussi par la dimension tragique du destin de tous ses compagnons au sein du pénitencier de OZ. On aura foi en la magie avec Once Upon a Time ou, au contraire plus aucune confiance en la civilisation après avoir regardé Southland. Quels qu’ils soient certains messages justifient parfois notre intérêt et peuvent expliquer notre fidélité saison après saison.
Si ces cinq éléments se retrouvent dans toutes les séries, toutes ne mettront pas l’accent sur les mêmes. Ainsi, l’ordre que je leur ai donné ici ne correspond pas du tout à un ordre d’importance. Certaines miseront tout sur leurs personnages quand d’autres insisteront avant tout sur leur univers. Et toutes les combinaisons sont possibles… Les formats peuvent cependant déjà nous donner une indication. Ainsi, par convention les sitcoms et les soaps donneront la primeur aux personnages et à leurs relations tandis que les séries policières ou d’aventure s’appuieront sur l’intrigue avant tout.
Plus on avance, cependant, plus ces formats s’interpénètrent, sans compter les nouveaux qui s’imposent. Par exemple, les comédies du câble de 25 à 30 minutes, comme Girls ou Episodes, si elles donnent évidemment beaucoup d’importance à leurs personnages, se présentent avant tout comme des comédies de mœurs pour lesquelles l’univers représenté est primordial.

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L’identification de ces cinq éléments permet de tracer les contours et repérer ce qui fait l’identité et l’intérêt d’une série, ce que j’appellerais le « langage ». En effet, plus peut-être encore que toute autre forme fictionnelle, la série vaut pour la langue qu’elle met en œuvre. C’est cet ensemble qui, s’il vous plait, permettra de maintenir votre intérêt intact après parfois 20 saisons. S’il est bien conçu, il est potentiellement infini, comme un alphabet.

La dimension subjective intervient évidemment dans la lecture de ces différents éléments. Lorsque certains seront captivés par le propos politique de The 4400, d’autres ne s’intéresseront qu’aux personnages ou à l’univers mis en place et seront, à la limite, ennuyés par cette dimension plus « morale ». On peut aussi ne pas du tout voir la même chose que notre voisin, fan de la même fiction.
Afin d’approfondir notre analyse, nous pouvons interroger chacun de ces éléments à l’aide de critères de qualité. J’en ai repéré quatre :
• La profondeur : Chacun des cinq éléments cités plus haut peuvent être plus ou moins caricaturaux ou approfondis. Notons que l’importance de l’un peu expliquer le peu d’attention accordé à d’autres. Par exemple, une série qui mise tout sur son univers pourra présenter des intrigues moins originales ou un propos plus flou. Certaines réussissent cependant à équilibrer l’attention accordée à leurs différentes dimensions. On pourrait penser que la longévité est ici gage de qualité mais c’est en fait loin d’être le cas car de nombreuses séries finissent par se caricaturer elles-mêmes au bout de quelques années, gâchant même la subtilité des premières saisons.

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• La cohérence : Critère primordial pour des œuvres qui ont vocation à développer un univers, une mythologie, la cohérence c’est aussi la promesse que toute série vous fait d’utiliser le même langage, le même alphabet, épisodes après épisodes. Si Dexter est devenu dans les dernières saisons une caricature de lui-même, en plus d’être mal écrite, mal jouée et mal réalisée, la raison pour laquelle je ne peux pardonner sa fin est avant tout son inconsistance avec l’univers mis en place par la série.
• L’originalité : même minime, même au sein d’une fiction classique, l’originalité est possible et nécessaire. Si l’art sériel et un art de la répétition du même, tout l’art consiste exactement dans les variations, fussent-elles minimes. C’est pourquoi, j’admire à la limite davantage les séries à épisodes fermés qui arrivent encore au bout de 5, 10, 15, 20 saisons à me ravir et me surprendre.
• L’évolution : les séries bonnes à leurs débuts sont légion. Pour juger de leur qualité, sans doute doit-on observer ce qu’elles deviennent au bout de quelques années, une fois l’intrigue d’origine bien exploitée. La série a-t-elle été capable de se renouveler sans se trahir, de trouver un second souffle avec des enjeux au moins aussi passionnants ?
Notons que ces critères ne sont pas forcément toujours une garantie de succès ou même de plaisir individuel à regarder le show. En effet, certaines séries peuvent nous toucher sur un point particulier, même mal exploité et caricatural. C’est pourquoi à ces quatre critères « de qualité » il est important de toujours en ajouter un cinquième, totalement subjectif, celui du plaisir ou de la charge affective de la série pour nous. Ainsi, malgré ses innombrables rebondissements improbables, on peut continuer à trouver dans One Tree Hill une dimension tragique touchante dans la trajectoire du père, ou encore être intimement attaché au destin d’un des couples formés au fil des années. Au final, ce critère-là est le plus important car c’est bien souvent lui qui déterminera si on continue à suivre une série ou pas.

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Remarquons néanmoins que lorsqu’on en regarde beaucoup, les séries n’ont pas toutes le même statut et ne sont pas investies des mêmes attentes. Personnellement, je différencierais ainsi trois catégories dans ma pratique de téléspectatrice.
Tout d’abord, celles que je regarde par plaisir et dont je peux dire que chaque épisode (ou presque) m’enchante. Généralement, ces séries-là sont celles que je regarde en priorité, souvent seule et au soir. The Good Wife, par exemple, fait partie de ces séries dont je reste surprise de la qualité après chaque épisode.
Ensuite, celles que je regarde parce qu’elles constituent une sorte de rituel social. Ce sont donc les séries que je ne regarde pas seule, certaines faisaient au début partie de la première catégorie mais ne restent dans mes habitudes que grâce à cette dimension de partage, d’autres sont presque une « contrainte » que je m’impose pour faire plaisir, savoir de quoi tout le monde parle et pouvoir participer aux conversations. Ces séries-là ne sont pas satisfaisantes à chaque épisode mais ont généralement quelques moments de grâce sur une saison et/ou un ou plusieurs personnages qui me plaisent quand même suffisamment pour justifier ma fidélité.
Enfin, il y a les séries que je regarde seule sans pour autant y trouver mon compte mais que je n’arrive pas pour autant à me décider à arrêter. Il existe à cela deux raisons très différentes : soit j’ai l’espoir que ça finisse par se révéler génial car la qualité est présente et seul manque le déclenchement d’un investissement émotionnel, soit la qualité est vraiment médiocre mais un personnage, un acteur ou l’alchimie d’un couple me touche suffisamment pour que j’en redemande.
En fonction de la catégorie dans laquelle je situe la série, je n’y investis évidemment pas la même chose et mes attentes ne sont pas les mêmes, ce qui explique que je puisse être plus tolérante avec une série médiocre du troisième groupe que vis-à-vis d’un épisode un peu moins bon du premier. La grille d’analyse élaborée plus haut permet néanmoins d’expliciter de manière un peu plus détaillée l’intérêt ou les défauts de chacune.