Nos séries ont-elles une utilité individuelle ?

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Nous sommes tous bien sûr enclins à  admettre que la raison principale pour laquelle nous nous plongeons régulièrement, voire pour certains d’entre nous presque constamment, dans l’univers que nous proposent nos séries préférées, consiste dans le plaisir que nous y prenons. L’évasion, le rire, la découverte, la catharsis, éventuellement, toutes ces facettes de notre expérience spectatorielle font de ce temps de visionnage de bons moments, globalement satisfaisants.

Par ailleurs, d’un point de vue purement personnel, j’ai pu constater combien certaines fictions pouvaient combler un manque passager, répondre à une interrogation existentielle, satisfaire une recherche personnelle. Qu’il s’agisse simplement de nous apporter un réconfort lorsque la réalité nous déçoit (le sentiment de justice devant les réquisitoires de Jack McCoy, par exemple), de nous aider à comprendre le point de vue d’un proche lors d’un conflit ou de nous accompagner lors d’une introspection quasi-psychanalytique, les séries, et la fiction en général, nous aide et nous rend plus forts tant face au monde que face aux autre et à nous-mêmes.

D’un point de vue subjectif, je fais partie, vous l’aurez compris de ceux qui pensent que la fiction nous rend meilleurs. Non seulement elle nous sert individuellement mais, par le même mouvement, elle constitue une puissance morale incontestable au cœur de nos vie, contribuant ainsi à améliorer notre rapport au monde et aux autres.

South-Park-Eric-Cartman[1]

Ce point de vue peut évidemment être contesté et je ne peux que reconnaitre combien le débat public a tendance à suivre le raisonnement inverse, attribuant à diverses formes fictionnelles (romans, films, séries, musique, jeux vidéo, …) la responsabilité, que ce soit d’un acte isolé ou de la déperdition de la société dans son ensemble. Or, reconnaitre l’impact moral de la fiction n’est-ce pas ouvrir la porte à ce genre d’argumentation ?

A vrai dire, je crois que certaines fictions peuvent avoir un impact négatif sur nous mais pas au sens simpliste où l’on peut parfois l’entendre lorsque la question apparait dans les médias ou le débat politique. S’y trouve à l’œuvre, en effet, une forme de pensée magique pour laquelle côtoyer la représentation d’un phénomène, comme la violence, favoriserait son épanouissement, donc par exemple nous rendrait automatiquement violents,

Or, ce raisonnement causal se révèle particulièrement inadapté lorsque l’on essaie de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans notre rapport à la fiction. Si celle-ci se distingue du réel, c’est justement parce qu’elle ne peut se passer d’un canal de médiation pour nous atteindre, elle n’est pas immédiate. Ca ne la rend pas moins efficace mais bien plus complexe à analyser.

community

Ainsi, je crois que certaines fictions transmettent un sous-texte misanthrope, sexiste ou autre (abêtissant, anti-politique, raciste, …) qui a d’autant plus d’impact sur nos manières de voir le monde qu’il reste largement non formulé en mots et en idées. Il nous agit  dès lors sans que nos consciences n’aient souvent les moyens de les identifier, donc encore moins les combattre.

C’est pourquoi le conseil qui me parait le plus pertinent sera double : multiplier ses fictions afin de ne pas laisser à une seule, ou un petit nombre, l’immense pouvoir de devenir notre grille de lecture unique pour lire les évènements qui nous entourent, et, autant que possible, interroger sa consommation et les récits qui la composent. C’est en tout cas ce que j’essaie de faire ici.

Quoi qu’il en soit, dès que l’on parle de visions du monde transmises par nos fictions et de leur effet moral, on dépasse rapidement les seules considérations individuelles pour questionner leur dimension collective. C’est la réflexion que je vous propose de poursuivre dans l’article suivant.