Nos séries ont-elles une utilité collective ?

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 Au-delà de l’expérience individuelle que constitue le visionnage de séries (traitée ici), l’imaginaire collectif, mythologique, qu’elles charrient, leur mode de création, production, diffusion et consommation à échelle industrielle, de masse, sans oublier le vécu partagé qu’elles mobilisent (actualité et mode de vie) en font un phénomène social de premier plan.

Si elles nous offrent parfois une base commune sur laquelle appuyer des discussions enflammées avec certains de nos contemporains, et ainsi rendre possible certaines interactions sociales, c’est surtout d’un point de vue sociologique que j’aimerais me placer ici afin d’examiner si nos séries préférées peuvent avoir un rôle à jouer dans l’organisation dont nous sommes tous membres.

Ainsi, si on met de côté la dimension de lubrifiant social qui se trouve contrebalancée par l’isolement et la déconnexion qui peuvent tout autant en découler, je représenterais ainsi la question :

Fonctions sociales series

Pour commencer, les séries vont se situer sur la question du maintien ou de la transformation de l’organisation sociale. Bien sûr, toutes n’ont sur ce point pas les mêmes prétentions, ni les mêmes effets, mais toutes d’une manière ou d’une autre participe de cette confrontation permanente. Ainsi, là où certaines s’attaqueront frontalement au statu quo à travers une critique sociale virulente, d’autres, par l’introduction d’un personnage hors-normes, problématiseront la question de sa place ou valoriseront son apport positif. Le rire tient dans cette confrontation un rôle primordial puisqu’il permet autant de faire passer sur le ton de la légèreté la mise en avant de telle problématique, que de rappeler les normes distinguant ce qui va de soi et ce qui nous parait « drôle ».

Si l’on reste sur cet aspect du fonctionnement social, nous pouvons ajouter à cet aspect pratique de gestion d’un équilibre instable, une dimension plus intellectuelle et idéologique consistant à approfondir, réévaluer, consolider les fondements du fonctionnement de nos institutions, de nos mœurs, de nos modes de vie. Cela peut se faire autant par la mise en scène de débats au sein même des séries que par la représentation d’autres formes d’organisation, passées, futures, utopiques ou dystopiques, …

Mais l’exploration ne s’arrête bien sûr pas à ces sujets, comme j’ai tenté de le montrer dans ce schéma à l’aide de quelques exemples évidemment loin d’être exhaustifs :

questions series

Enfin, et je n’hésiterai pas à considérer cet aspect comme primordial, les séries, au même titre que les mythes (voir Florence Dupont) ou les contes, sont l’expression de la société qui leur donne vie et dont elles célèbrent la grandeur. Qu’il s’agisse de témoignages quasi documentaires de certains modes de vie particuliers ou de la représentation typique d’une famille, d’une entreprise ou d’un groupe d’amis, les manières de faire et d’être mis en scène exprime un rapport au monde culturellement partagé. Et se rassembler devant ces simulacres contribue à renforcer le sentiment de communauté autant que la sensation d’évidence qui en découle. « Si je partage ces valeurs, c’est parce qu’elles sont supérieures à d’autres. Mon imaginaire déborde d’exemples qui en démontrent le caractère naturel. »

Parmi les valeurs spécifiques transmises par les séries actuellement, j’ai notamment déjà démontré (South Park, Kaamelott, Game of Thrones, New Girl, Battle Creek, …) combien le pragmatisme, rejet du transcendant au profit de l’immanent, et donc aussi une lecture désenchantée de la quotidienneté était à l’œuvre.

Ne nous leurrons pas, il ne s’agit pas là d’un endoctrinement. C’est parce que cette vision du monde est dominante pour le moment que les fictions qui l’expriment sont si nombreuses. Si notre état d’esprit n’était pas déjà ouvert à cette lecture, ces fictions se trouveraient en effet probablement rejetées comme trop peu crédibles. C’est pourquoi étudier le fond idéologique des séries me parait un excellent moyen de comprendre ce qui anime notre société.