Kaamelott : Contingence, ironie et solidarité

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Si je reprends le titre du livre du philosophe américain, Richard Rorty, pour parler de cette série française, ce n’est pas par hasard. En effet, Alexandre Astier nous propose ici sa version personnelle du pragmatisme tel que nous le décrit Rorty.
Le programme en est ainsi détaillé : tout d’abord, il importe de prendre conscience de la contingence de nos évidences. Relativisation de nos valeurs, démonstration de l’arbitraire du langage, désenchantement à tous les étages. Comment ne pas y reconnaître le propos de Kaamelott qui systématise la formule en faisant du vocabulaire un sujet d’incommunicabilité permanente, en renvoyant toujours les actions les plus nobles aux préoccupations les plus basses, en faisant de tous les éléments sensément enchantés des occasions foireuses.


Cette première étape érigée en principe, le philosophe préconise alors de distinguer deux attitudes concomitantes, l’une destinée à l’espace privé, qu’il appelle l’ironie, et l’autre destinée à l’espace public, qu’il résume sous l’idée de solidarité. De fait, dans ses premières saisons, la série nous offre à observer un Arthur qui, malgré la remise en question permanente du bien fondé de son projet, essaie de maintenir une attitude bienveillante et humaniste. Seul le recul et l’humour lui permettent de garder le cap.
Cependant, là où une autre série « pragmatique », comme South Park, parvient malgré tout à maintenir un certain équilibre par l’intermédiaire du Bon Sens qu’incarnent tour à tour Stan ou Kyle, Kaamelott repose sur un personnage faillible qui finit par être atteint par trop de non-sens. Fini alors le sens de l’humour et la volonté humaniste, l’ironie et la solidarité… Ne reste plus qu’un monde qui n’a plus de sens.
Cette perte de confiance d’Arthur, en lui-même et en son projet, permet une investigation très intéressante du rôle central de l’individu dans le projet pragmatique. Si tout peut, et doit, être remis en question dans une telle philosophie, elle nécessite néanmoins de ne pas trop se pencher sur le rôle central de l’individu, au risque de perdre toute efficacité.
De fait, la cinquième saison nous propose une plongée dans un monde déserté par la confiance et la volonté individuelle. Fatigué de porter à bout de bras un destin qui s’est imposé à lui et qui semble pourtant se dérober sans cesse, Arthur n’a plus le sens de l’humour. Il cesse d’être Le roi Arthur pour n’être plus qu’une coquille vide en quête d’une raison d’être. Or, celle-ci ne peut venir de l’extérieur. Tout est contingent, arbitraire, désenchanté. La suite en est donc logique, évidente…
Je dois avouer que cette représentation pragmatique de la destinée me parait particulièrement intéressante : elle s’impose d’une manière qui semble totalement arbitraire, comme un malentendu, et pourtant, elle fonde l’individu et toute la construction et la justification du monde qui en découle.

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