Rêve et réalité

Battle Creek

Parmi les nombreuses questions que ressassent en permanence les séries télévisées contemporaines, celle de la nécessité du réalisme est omniprésente. L’époque est parait-il à la difficulté d’accepter l’écart existant entre nos rêves, nos idéaux, et le réel qui leur résiste.
Cette tension, nous pouvons la retrouver dans nos fictions sous de nombreuses formes : le caractère trompeur des apparences (Desperate Housewives, …), la dépression (The Sopranos, …), la difficulté à ce qu’un plan se déroule sans accro (Breaking Bad, …) ou simplement à mener un projet à bien (Episodes, …), les fossés qui séparent bien souvent notre image de nous et celle que nous renvoient les autres (Girls, …) ou bien entre nos idéaux et leur mise en œuvre (Veep, …), l’absence de sens nous aidant à mener nos vies (Community, …) ou même l’absence de réalité partagée (The Affair).


Nos séries nous renvoient donc en permanence à cette situation d’incertitude « morale » qui caractérise notre monde post-moderne. Certaines prennent cependant sur elles de ne pas se contenter de ce constat et défendent avec plus ou moins de force une morale pragmatique. En résumé, puisqu’il nous est impossible d’accéder à une quelconque vérité, il serait nécessaire d’abandonner nos idéaux et de juger du bien-fondé de nos actions en fonction de leurs résultats.

South-Park-Eric-Cartman[1]
Comme je l’ai déjà montré dans les articles que je leur consacre, South Park et à Kaamelott adopte clairement cette position pragmatique, même si on peut constater qu’elle est moins bien assumée sur le long terme par la seconde qui finit par sombrer malgré tout dans une forme de dépression. De même, des séries comme Major Crimes ou la plus récente You’re The Worst semblent jusqu’à présent assumer ce « désenchantement » avec bonheur tandis que d’autres, comme Southland ou The Walking Dead, l’assume comme signe d’un déclin absolu de la civilisation.
Sur cette question, les propos les plus intéressants seront portés par des personnages qui ne traitent jamais définitivement la question, comme le fait magistralement The Good Wife, dont l’envie de rester fidèle à elle-même n’a d’égal que son désir d’accomplir des choses. La série The Americans se frotte également au sujet avec finesse. Enfin, le personnage de Dexter est particulièrement intéressant puisqu’il accomplit une mission qui peut être comparée à celle d’un super-héros mais en se basant pour ce faire, non pas sur des idéaux comme celui de justice ou même la valeur absolue de la vie humaine, mais sur une marche à suivre élaborée par son père pour lui permettre de canaliser ses pulsions meurtrières. Toutes les ambiguïtés du pragmatisme se trouvent là mise en exergue.
Face à ces fictions assumant avec plus ou moins de bonheur l’absence de transcendance dans le domaine de la morale, d’autres insistent au contraire sur l’importance de croire en quelque chose. Ne nous y trompons pas cette position n’est pas forcément incompatible avec le pragmatisme. Si cela apporte plus de résultats, pourquoi en effet ne pas adopter une attitude positive.
Ainsi, les personnages de Leslie Knoppe (Parks & Recreation) ou Mindy Lahiri (The Mindy Project) par exemple, quoique très optimiste dans leur manière d’aborder leurs objectifs, restent réalistes dans la mesure où elles finissent à force de détermination à arriver à leurs fins. De même, Dawson’s Creek, dans son ensemble, peut être vue comme une longue réflexion sur la manière d’intégrer nos « fantasmes » dans nos vies sans en faire des échappatoires. Enfin, quoique très idéalistes, les séries d’Aaron Sorkin ne font rien d’autre qu’affirmer les bénéfices sur le long terme que nous apporterait le respect de certains principes.

Once_Upon_a_Time
D’autres séries, cependant, continuent à défendre une vision idéaliste, soit en valorisant la figure du héros se sacrifiant pour les autres (Angel, Person of Interest, …), soit en affirmant l’existence d’une transcendance morale (OZ, …) ou métaphysique (Lost, …). Sur ce point l’exemple de Sons of Anarchy est particulièrement intéressant : se vivant comme une tragédie moderne, la série met en scène des personnages entièrement déterminés par des principes qui les dépassent et leur seul salut se trouve dans l’acceptation de leur destin.
Si le pragmatisme est omniprésent dans nos fictions, c’est bien sûr parce qu’il permet un traitement plus réaliste, complexe et intéressant des personnages, comme des univers, qu’elles mettent en place. Mais plus que tout, il s’agit d’une manière d’envisager le monde qui correspond au mode de vie contemporain, souvent débarrassée de transcendance. Pour autant, l’optimisme, voire l’idéalisme, n’a pas disparu et la question de leur place dans nos systèmes de valeur permet de renouveler en permanence nos interrogations morales.

(Sujet traité également dans notre podcast 2×25)