Game of Thrones : un puritanisme pragmatique

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On peut faire du sexe une des composantes principales d’un récit et tenir un propos puritain, c’est une des leçons que nous aura apprise Game of Thrones. Si l’on y pense, cela n’a d’ailleurs rien d’étonnant : la place accordée à un sujet en démontre son importance mais n’indique absolument pas la manière dont il sera traité.

Dans le cas qui nous occupe, la représentation de la sexualité détient manifestement une des clés d’interprétation majeure du propos de la série. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait croire dans un premier temps, elle n’est ici absolument pas le signe d’une libération des esprits faisant voler en éclats les tabous les plus ancrés, celui de l’inceste en tête. Au contraire, un examen un peu plus approfondi révèle assez rapidement une conception extrêmement stigmatisante du sexe, sous toutes ses formes.

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En un mot comme en cent : le sexe, c’est sale ! Manifestation de bestialité, la sexualité est à la fois le signe d’un manque de civilisation (nombreux viols, tribu ultra-patriarcale tuant tous les nouveau-nés mâles,…), un moyen d’obtenir du pouvoir (mariages arrangés, Stannis Barathéon et la dame rouge, …) et une monnaie d’échange (prostitution). Sans même devoir mêler des considérations sentimentales à ce constat, et malgré les apparences, le sexe n’est jamais anodin, purement récréatif, ni, surtout, sans conséquence pour la suite. Il est la manifestation soit d’un manque de contrôle, donc de faiblesse, soit d’un manque de pureté, et donc de machiavélisme (excès de contrôle).

Or ces signes sont un indicateur majeur pour comprendre qui doit vivre et qui doit mourir, et pourquoi. Dans le jeu de pouvoir qui se joue, faire primer son désir sur la stratégie se révèlera toujours perdant. Dans un tel contexte, il n’est pas anodin que les héroïnes soient toutes, ou presque on y reviendra, des vierges et les héros des eunuques ou des éclopés. Stratège parmi les stratèges, Petyr Baelish n’est sans doute pas responsable de bordel pour rien. Il contrôle littéralement les mystères qui font perdre la tête (sic !) aux autres.

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Quelques cas méritent cependant que l’on s’y attarde davantage. Ainsi, faisant figure de péché originel de la série, l’inceste des jumeaux Lannister, à l’origine de tant de maux, reste à ce jour impuni. Si, par leur séparation, l’un et l’autre ont subi des épreuves importantes, non sans perte ; si par sa longue traversée du désert, Jaime semble avoir entamé une forme d’expiation dans la fréquentation platonique de sa compagne de voyage ; le désir qui les consume dès qu’ils se retrouvent ensemble s’est révélé irrésistible. Et pourtant, pour le moment en tout cas, le couperet n’est pas encore tombé. En tant que symbole premier de la perte de contrôle dans le sexe, il me parait cependant normal que le récit se le garde sous le coude pour plus tard.

Tyrion, familier des prostituées mais probablement moins de perte de contrôle, devra payer d’un exil, probablement long et pénible, l’abandon de soi que lui inspira, Shae. Sa grande intelligence, à savoir son pragmatisme, lui permettant cependant de toujours garder les pieds sur terre, cette faiblesse passagère, quoique dévastatrice, devrait être surmontable.

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De son côté, le cas de Daenerys est également très intéressant : vendue par son frère pour épouser un seigneur barbare aux abords peu engageant, elle apprit à devenir maitresse de sa sexualité et acquit ainsi un véritable pouvoir sur sa vie et son peuple. Après la mort de son mari, cependant, elle fut entièrement purifiée par le feu. C’est donc transfigurée en mère des dragons qu’elle entame une nouvelle page de sa vie, plus conquérante et héroïque.

Enfin, Jon Snow (dont la seule existence pourrait expliquer l’exécution de son père) longtemps resté vierge a fini par céder, malgré son vœu de chasteté de gardien du mur, à la sauvageonne, Ygritte. La suite nous dira probablement quelles en seront les conséquences… Pour l’instant, en tout cas, la perte de contrôle semble avoir plutôt été sanctionnée du côté de celle-ci.

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Ce petit passage en revue des troupes permet de spécifier pourquoi le sexe est si souvent présage de mort dans Game of Thrones. Inextricablement lié au pouvoir (sur soi-même comme sur les autres), il est signe de prise ou de perte de contrôle. On peut dès lors comprendre la série de deux manières : comme un récit sur le pouvoir utilisant la sexualité comme symbole et/ou comme une métaphore des nombreuses batailles que doit livrer tout être humain contre ses passions les plus inavouables.

Quoi que l’on veuille en retirer, une constante de l’univers idéologique de l’époque se retrouve ici comme dans de nombreuses autres séries : le pragmatisme. Une fois encore, on peut constater un rejet de toute forme d’idéalisme, valeurs de l’héroïsme traditionnel comme l’honneur en tête, et une valorisation du recul ironique ne laissant place qu’à une morale au cas par cas. La trajectoire du clan Stark, très valeureux et moral, donc naïf, est à ce titre emblématique par rapport aux Lannister, d’emblée désabusés mais qui révèlent chacun des ressources morales insoupçonnées lorsque cela se révèle nécessaire. Il est à parier que ceux qui voudront survivre devront cesser de se fier aveuglement à leur idéalisme et faire preuve de davantage de pragmatisme. Une fois encore, une question de contrôle…