Crazy Ex-Girlfriend, L’authenticité dans l’artifice
mai 18, 2016
Cet article a fait l’objet d’une publication antérieure sur le site de Smallthings.
Créée par Rachel Bloom, qui en joue également le rôle principal, Crazy Ex-Girlfriend nous propose de suivre les illusions et désillusions de Rebecca, brillante avocate de New York, qui décide sur un coup de tête d’emménager à West Covina, petite ville de Californie où habite son amour d’adolescence, Josh.
Et rien que d’écrire ces mots, l’air et les paroles entrainants du générique me dansent déjà dans la tête tant cette description serait incomplète si je n’y ajoutais pas aussitôt que notre héroïne, dont l’équilibre émotionnel et peut-être même mental reste incertain, se vit avant tout en chanson, comme dans les comédies musicales qu’elle adore, tendance qui finira d’ailleurs par contaminer l’ensemble des personnes qui la côtoient.
Car, si Rebecca fuit la dépression de sa vie d’avant, si elle se ment la plupart du temps sur ses véritables motivations, ce qui la conduit inévitablement à mentir aussi aux autres, sa bienveillance et son authentique, et chaotique, poursuite du bonheur irradient autour d’elle, ne pouvant laisser son entourage indifférent.
Elaborant des plans dont elle ressort inévitablement perdante, elle n’est en effet habitée d’aucune mauvaise intention. Nourrie de rêve et de romantisme lorsque la vie lui devient trop pénible à regarder en face, ce n’est la plupart du temps que confrontée à ses mensonges et contradictions, et finalement à la solitude quelle cherche tant à fuir et à laquelle elle se voit constamment ramenée, qu’elle prend conscience de ce qui l’anime.
Trop consciente pour s’avouer ses espoirs de contes de fée, trop obnubilée pour comprendre que ses besoins les surpassent largement, Rebecca cherche cependant à se trouver une voie qui lui permette enfin de se sentir mieux avec elle-même. Et, même si le chemin est clairement encore long, sa démarche finit par inspirer un entourage bien plus conscient qu’elle ne le sera jamais de ses qualités, comme de ses fragilités, de la lumière qu’elle porte en elle et qui les pousse tous à faire le point sur leur vie.
Collègues et amis de Josh, rapidement devenus ses amis à elle aussi, se révèlent progressivement en chanson et c’est à travers le procédé de la comédie musicale, et donc l’artifice un peu désuet de ce genre, que va peu à peu se révéler la vérité de chacun.
Dépassant les illusions d’une authenticité psychologique, d’un rapport sain et pleinement conscient à soi-même, Crazy Ex-Girlfriend nous démontre en effet la part de mensonge qui constitue la vérité de chaque individu, le rôle du fantasme dans l’acceptation de la réalité, l’importance du déguisement, du rituel et des constructions sociales pour exprimer la singularité.
Ainsi, en nous proposant la forme traditionnelle du triangle amoureux, la série place Rebecca dans la position de choisir entre le rêve du premier amour idéalisé et le « réalisme » raisonnable d’un amour partagé mais bien moins expressif. Pourtant, le simplisme de ce dilemme prétend moins nous indiquer quel serait ultimement le bon choix que révéler les récits qui président aux trajectoires et réactions de chacun en leur sein.
C’est que, si Rebecca est clairement à côté de ses pompes, les autres personnages ne le sont pas moins et il est à parier que la saison 2 ne pourra que nous le révéler davantage. Rongé par un manque entretenu de confiance en lui, dont l’étouffement de toute ambition personnelle n’arrive que mal à le protéger, Greg se démontre incapable de supporter la moindre comparaison avec Josh, dont la naïveté savamment préservée de toute remise en question sincère ne cache qu’assez mal les propres doutes.
Si cette première saison de Crazy Ex-Girlfriend s’est donc révélée passionnante à suivre de bout en bout, c’est autant pour l’inventivité de son propos et de son format, la folie douce de ses chansons, que pour l’équilibre qu’elle réussit à maintenir dans le traitement de ses personnages, dont chacun est porteur d’une voix et de problématiques propres, tout en élaborant une réflexion très intéressante sur les fictions et artifices qui constituent notre vérité.