Rectify, troisième temps
septembre 3, 2015
Cet article a fait d’objet d’une publication antérieure sur le site de Small Things.
Série contemplative, s’il en est, traitant magnifiquement de l’indicible et de l’incommunicabilité, Rectify nous saisissait l’an dernier par l’intensité de la scène d’ « aveux » de Daniel. Pourtant, et c’est ce qui en faisait la beauté, rien n’est véritablement dit au sortir de ce deuxième volet, si ce n’est l’impossibilité d’extraire l’objectivité des faits de la fragilité des souvenirs.
Lorsque s’ouvre cette nouvelle saison, rien n’est donc dit mais tout est décidé. Daniel a obtenu sa liberté sous condition de quitter l’Etat et il ne lui reste qu’un mois avant de laisser derrière lui une famille déchirée par son retour autant que par son absence. Il a avoué officiellement des faits, mais il est enfin libéré de la menace d’une nouvelle condamnation.
Ce troisième temps est celui de l’avenir, pour Daniel comme pour ses proches. Là où la saison 1 respirait de grands bols de lumière et s’étonnait de chaque instant vécu hors de la cellule du condamné à mort, là où la saison 2 forçait le retour vers le passé et empêchait tout projet tant que ce dernier n’était pas investigué, la saison 3 signe l’heure du réveil, tous prennent conscience que la vie poursuivra son cours sur base de ce qu’ils mettront en place maintenant.
Et même si ça ne va pas de soi, si cette période de transition est aussi faite de va-et-vient, de destruction pour tout refaire, d’abandon. Elle est surtout le point de départ d’une reconstruction d’identité faisant sienne les évènements précédents. C’est la fin des faux-semblants et le début d’une forme d’affirmation de soi. Et si ça ne rend pas forcément la communication possible, l’indicible semble cependant se dissiper, puisqu’il devient clair que ce qui mérite vraiment d’être dit, c’est ce vers quoi chacun veut se diriger à l’avenir.
L’ombre de Hanna, la victime présumée de Daniel, si elle ne disparait pas, s’efface petit à petit des préoccupations, jusque dans les investigations du shérif. Celui-ci tire les fils devant le mener à la vérité depuis des chemins détournés qui le mèneront finalement plus loin que le trou noir, la marque aveugle, que reste le crime originel.
Fidèle à elle-même, Rectify poursuit donc avec la même subtilité et acuité l’histoire qu’elle a pour ambition de nous raconter depuis trois ans. Non seulement elle maintient opiniâtrement un cap, pourtant pas évident tant il se joue sur un mode ténu, mais elle réussit parfaitement à imprimer l’inflexion que doit prendre la vie de chaque personnage jusqu’à ce que se dessine une trajectoire admirablement cohérente.
Vibrant d’une intériorité, condamnée à rester largement impossible à partager avec ceux qui leur sont les plus intimes, chacun des membres de la famille Holden-Talbot, et des acteurs qui les interprètent, parviennent le tour de force de nous rendre palpable la masse de l’incommunicable qu’ils portent en eux. Plus étonnant encore, peut-être, cette atmosphère n’en devient jamais pour autant étouffante et désabusée. Au contraire, cette saison nous offre, une fois encore, de magnifiques scènes entre deux personnages dans lesquelles les silences et la présence à l’autre se révèlent aussi chargées de sens, si ce n’est plus, que les dialogues eux-mêmes.
Au sortir de cette saison 3, parce que ce qui m’a été donné de voir jusqu’ici m’a enchanté de mille manières, parce que je remets toute ma confiance entre les mains de Ray McKinnon, parce que son ambiance unique me manque déjà, je ne peux à présent qu’attendre avec impatience le quatrième volet de Rectify, une fois encore. Plus ouverte que jamais, l’intrigue permet d’imaginer un retour particulièrement intéressant.