Bilans croisés : Deadwood – Sons of Anarchy
décembre 27, 2014
Cette année se termine pour moi par les épisodes finaux de deux séries découvertes courant 2014. A première vue, toutes deux peuvent sembler parentes à plus d’un titre : quelques acteurs communs, un mélange de réalisme et de tragédie humaine, une tendance à régler les problèmes par la violence et les magouilles en tout genre, une forte proportion du contingent féminin travaillant dans l’industrie du sexe, …
Pourtant, le moins que l’on puisse dire est que mon impression générale à la sortie de ces deux univers est on ne peut plus opposée. Alors que mon dégoût pour Jax et sa bande n’a fait que grandir au fil des saisons au point de me rendre chacune de ses apparitions dans la dernière absolument insupportable, ma tendresse pour chaque figure de la ville de Deadwood n’a fait que grandir.
Bien sûr, il faut tenir compte de la différence de durée. Est-il véritablement équitable de comparer une série inachevée de trois saisons avec une histoire à laquelle on a laissé l’occasion de clore, mais aussi d’épuiser, son propos ? Cette remarque ne permet cependant pas de déterminer laquelle devrait en sortir favorisée.
Il est certain que nous ne saurons jamais comment Deadwood se serait terminé. Pourtant, si je peux admettre qu’il y a de fortes chances pour qu’elle ait fini par se parodier elle-même et perdre son intérêt, je n’en reste pas moins convaincu que ces deux fictions ne jouent pas du tout dans la même catégorie.
Ma conviction me porte en effet à croire que chaque épisode, chaque saison, chaque personnage ou intrigue d’une série porte en lui le potentiel de tous les autres, et donc aussi d’un final, éventuellement jamais réalisé. Comment comprendre sinon la frustration et le sentiment de trahison ressentis face à certaines fins ?
Or, face au dernier épisode de Sons of Anarchy, je n’ai absolument pas eu le sentiment que la série avait été dévoyée ou qu’on avait trahi son potentiel. J’ai détesté de toute mon âme, j’en suis sorti dégoûté et idéologiquement sali. Mais, contrairement à un Dexter ou un Lost, je n’ai pas été déçu. J’admets qu’il s’agit exactement de la fin que cette série méritait.
Jax, malgré son parcours, ses choix, ses crimes, a toujours été présenté comme un bon chef et un bon père de famille, protecteur et raisonnable, plus intelligent et voyant toujours plus loin que chacun de ses adversaires mais malheureusement doté de la pire mère qui soit, manipulatrice et totalement immorale. La figure christique dans laquelle les scénaristes ont choisi de le faire finir, aussi insupportablement moralisatrice qu’elle soit, n’a donc rien d’étonnant.
On pourrait s’étonner que les fictions revendiquant leur immoralité se révèlent en réalité les plus moralisatrices. Pourtant, si l’on y réfléchit, le fait de poser son propos sur le plan de la morale, que ce soit pour la soutenir ou la renverser, détermine forcément la portée de son intention principale à ce domaine précis. Notez que cette remarque ne rejette absolument pas toutes les séries « immorales » dans le camp des séries gnangnan moralisatrices et/ou bien pensantes. Au contraire, beaucoup utilisent ce procédé pour développer une réflexion intelligente et fine sur le sujet. L’exemple de Oz devrait suffire à vous en convaincre.
A sa manière, Deadwood fait un peu le même pari. Retraçant la vie et le développement d’un campement, puis d’une ville, de chercheurs d’or dans une portion de territoire totalement indépendante des lois instituées par ailleurs, cette série nous montre le développement d’un système légal, et donc aussi moral, sans autre obligation que la bonne volonté des individus face aux circonstances et pressions auxquelles ils sont soumis, mais également en fonction de leur personnalité.
Pourtant, là où je déplore l’unilatéralisme et le simplisme moral de Sons of Anachy, j’admire l’ambivalence, la complexité, en un mot la richesse de Deadwood. Là où Jax a toujours été présenté avec complaisance, les personnages de David Milch sont loin d’être aussi transparents.
J’aime que Deadwood me représente à la fois une comédie humaine hilarante et des instants historiques d’une justesse fascinante, j’aime que chaque personnage soit si faible et si grandiose, j’aime que la vie et l’histoire ne soit qu’un jeu insignifiant, j’aime que chaque figure compte et nous intéresse, j’aime que personne ne soit « sauvable ».
Bref, Deadwood réussit là où tant d’autre loupe leur cible à mes yeux : la dimension historique est soutenue par un sens théâtral et des personnages qui en font plus qu’une reconstitution vaine (à la The Knick, par exemple), la dimension tragique ne prend son sens que dans une comédie de l’insignifiance, la morale ne se fait jamais au-delà des individus et des circonstances, la tendresse remplace tout absolu.