Au-delà des apparences, un enjeu sériel
mars 18, 2016
Parmi des thèmes récurrents de nos fictions télévisées, celui d’une vérité qu’il s’agirait d’aller chercher au-delà de ce qui nous est donné à voir en première lecture est absolument incontournable. Qu’il s’agisse d’un enjeu narratif, d’une conséquence d’un format s’étirant dans la durée ou d’un appel du pied au téléspectateur, les possibilités qu’ouvre cette question sont infinies.
Au sein même du récit, pour commencer, nous en trouvons évidemment la marque sous de nombreuses formes. Ainsi, toute quête de vérité, si elle veut durer un minimum s’appuiera sur le principe selon lequel celle-ci ne se dévoile qu’à force de ténacité et à condition d’être capable de dépasser ses préjugés et premières impressions. Ce sera le cas pour de nombreuses enquêtes policières, mais aussi pour toutes les séries qui s’inspireront de ce modèle pour l’appliquer à la médecine ou au paranormal, par exemple.
A chaque fois, il s’agira pour le ou les héros, voire le téléspectateur, de tenter de percer un mystère en investiguant ce que cachent les façades des espaces privés, maisons familiales ou appartements (Desperate Housewifes, Homeland, …), ce que tait le silence des âmes (House, …), ce que camoufle la version officielle (The X-Files, Prison Break, …), ce à quoi nos évidences nous rendent aveugles (Broadchurch, Fringe, Sherlock, …).
Parfois, il s’agira tout simplement de permettre au public de voir ce qui lui est habituellement caché, parce qu’il s’agit de sphères inaccessibles, comme les milieux criminels (The Soprano, …) ou d’espionnage (The Americans, …), mais aussi plus prosaïquement très riches (Dirty Sexy Money, …) ou puissants (House of Cards, …), ou au contraire extrêmement marginalisés (The Corner, Big Love, …), ou encore complexes (The Wire, …).
Mais la démarche s’applique aussi à l’évolution morale, affective ou spirituelle d’un personnage, aux pensées ou à l’intimité duquel une fiction nous donne accès, comme jamais il n’est possible de l’imaginer hors du jeu fictionnel. Dexter partage avec nous ses pensées les plus noires et nous comprenons peut-être mieux que Walter White lui-même la métamorphose qui s’opère en lui. De nombreux héros nous invitent ainsi à les suivre pas à pas, à découvrir tout ce qu’ils cachent avec plus ou moins de succès aux autres et parfois à eux-mêmes.
L’idée selon laquelle nous aurions tous des choses à cacher, nous mentirions tous comme le dirait le docteur House, est donc particulièrement porteuse, non seulement parce qu’elle constitue un principe de base du rebondissement d’une intrigue, mais aussi parce qu’elle semble colorer moralement une bonne partie de nos fictions. Si cela peut procéder d’une tendance à la paranoïa, surtout sur le terrain politique, de certaines séries, beaucoup d’autres y trouverons une manière de valoriser l’authenticité.
C’est que paradoxalement, l’authenticité est absolument centrale dans le système moral que nous véhicule l’imaginaire sériel, et pour une large part américain. Et c’est justement parce que cette préoccupation le travaille en permanence que la thématique des faux-semblants y est omniprésente. La vérité n’est pas seulement un enjeu intellectuel de savoir, ayant pour but de nous permettre de comprendre, c’est aussi une question éthique de transparence et d’honnêteté, vis-à-vis des autres bien sûr, mais vis-à-vis de soi-même également.
C’est que la révélation progressive des manigances d’un leader ou d’un proche, tout comme la découverte et l’expression de ce que l’on est vraiment, est une libération en soi que de nombreuses séries nous proposent d’accompagner. Qu’il s’agisse de découvrir les tenants et aboutissants d’un complot ou de s’accepter imparfait, de révéler son homosexualité ou son alcoolisme, les thèmes ne manquent pas mais le présupposé est toujours le même : la vérité et l’authenticité sont préférables, même si elles peuvent parfois inquiéter un corps social en quête de conventions assurant l’organisation du vivre-ensemble (comme l’expriment Wilson et Cudy vis-à-vis de la liberté de House).
Même lorsqu’il s’agit d’assumer la part sombre qui nous habite, la démarche apparait toujours moins répréhensible que les innombrables conséquences désastreuses qu’entraînent toujours l’hypocrisie et le mensonge, comme je l’avais déjà souligné à propos de Breaking Bad et Better Call Saul. Le Méchant, celui qui s’assume comme tel, se révèle finalement plus fascinant que méprisable et peut-être moins nuisible que celui qui se prétendait « gentil ».
Si les séries sont un appel à l’authenticité, c’est donc aussi en tant que notion opposée aux conventions sociales. Même les dernières évolutions de The Walking Dead, peuvent être vues comme celles d’une société qui se débarrasse progressivement des principes moraux qui prévalaient dans l’ancien monde au profit d’une organisation plus pragmatique assurant la survie de ses membres. Les scrupules, les regrets, les idéaux humanistes, c’est la mort assurée.
Dans tout ce qui vient d’être dit, on le voit, l’étalement dans le temps que permet la série télévisée constitue un avantage majeur pour mettre en avant ces problématiques. En effet, plus la révélation viendra de loin et sera progressive et plus l’effet recherché sera renforcé. En nous permettant de suivre des intrigues et des personnages sur plusieurs années, les séries disposent ainsi d’un potentiel de progression dans la découverte de la vérité qui lui permet, sur ce point, d’être bien plus subtile et détaillée que la plupart des autres formats.
Ceci dit, cette précision, qui saute aux yeux du sériephile averti, explique probablement aussi en grande partie pourquoi ce type de fiction prête peut-être plus que d’autres le flanc aux malentendus. C’est que, évidemment, avoir vu quelques épisodes, voire une ou deux saisons, d’une série quelle qu’elle soit et l’avoir vue en intégralité, surtout lorsqu’il s’agit du dévoilement lent d’une vérité, ce n’est pas la même chose. Et vu le choix qui s’offre à nous et le temps que cela exige de s’y consacrer, nous sommes pourtant tous bien obligés de nous faire une opinion relativement rapidement.
Il n’est donc pas rare de se tromper et d’abandonner une pépite encore cachée pour un objet plus brillant, mais au bout du compte sans valeur. En effet, et peut-être est-ce précisément d’autant plus le cas des séries les plus subtiles et bien pensées, préparer un cheminement au-delà des apparences exige logiquement de commencer par nous montrer ces apparences. Toute lecture pressée et trop premier degré risque donc toujours de nous faire passer à côté du propos réel de la série.
Enfin, ce n’est également qu’avec le temps que peuvent se construire et nous apparaitre ce qui fait la richesse d’une série au-delà de ce qu’elle nous montre en première lecture. Or, plus les possibilités d’interprétation seront nombreuses et plus on pourra apprécier la richesse d’une fiction ? Par conséquent, en plus de représenter une question centrale tant pour l’intrigue et les personnages que pour l’évolution du propos de la série, la quête d’une vérité cachée constitue également l’objet de l’invitation que celle-ci nous lance, celle de nous plonger en elle afin d’en déceler la portée symbolique, l’infinité des significations.
P.S.: Cet article accompagne le podcast d’une émission consacrée au sujet.