Les séries et la famille
décembre 7, 2015
Si l’on prend la peine d’observer au grand angle les séries, nous pourrions être surpris par la large proportion de celles dans lesquelles les familles sont tout simplement absentes ou pour le moins anecdotiques. En effet, alors qu’elles sont très clairement un thème récurrent et un sujet constant de célébration, force est de constater que leur place est en réalité beaucoup plus restreinte qu’on ne pourrait le penser.
Bien sûr, certaines intrigues se passent très bien de l’intimité de cet espace privé et se déroulent exclusivement en dehors de la sphère familiale. C’est le cas des nombreux Procedurals médicaux, judiciaires et autres dont le cas de la semaine constitue le cœur du récit.
Pourtant, les personnages de ces fictions ne se contentent pas d’agir en professionnels, ils investissent dans ces affaires tout le temps et l’énergie que leur absence de vie privée leur permet d’y dépenser. C’est d’ailleurs ce qui les rend si performants, démontrant ainsi implicitement le poids que peut représenter la famille pour la pleine réalisation de son potentiel (comme le dirait Peggy dans la saison 2 de Fargo).
Explicitement, cependant, si la famille est si peu présente, ce n’est pas par choix. Elle reste l’horizon de vie idéal dont la vie et les relations professionnelles ne sont qu’un substitut insuffisant. En la matière, on pourrait distinguer trois modèles : celui du professionnel dont l’investissement au travail provoque la désintégration de la famille (Third Watch, The Wire, E.R., Justified, …) ; celui du parent divorcé, généralement affublé d’un adolescent, fille ou garçon, offrant le contrepoids à son attitude « à la ville » (Lie to Me, Castle, Major Crimes, Body of Proof, Shark, …) ; et enfin, celui du célibataire pour lequel le bureau constitue une forme de famille de substitution et/ou un terrain de chasse amoureux (Grey’s Anatomy, Scrubs, Bones, …).
Si la famille reste donc clairement à l’arrière-plan, elle garde cependant une place centrale dans la caractérisation des personnages, ne serait-ce que par son absence. Par contre, étonnamment, les séries très feuilletonantes, aux enjeux dépassant largement le seul cadre privé, comme Prison Break, Lost ou Breaking Bad, par exemple, révèlent très souvent un fondement familial primordial. Plus le récit se prolonge et plus ces séries semblent la replacer à la source de tous les enjeux, même les plus globaux. Je ne m’étendrai pas sur la portée psychanalytique de ce genre de trame…
Par ailleurs, enfin, une partie des Sitcoms ont fait du groupe d’amis le nouveau centre affectif de leurs personnages, reflétant ainsi la part grandissante des années de célibat chez les jeunes adultes de ces trois dernières décennies. Néanmoins, les familles sont loin d’être sous-représentées dans ce genre. Elles le seront cependant dans des fictions distinctes. Il semble, en effet, qu’il s’agisse là de deux noyaux identitaires concurrents et difficilement conciliables. Même dans That 70’s Show, qui traitent amis et famille quasiment en parallèle, nous avons en vérité toujours la prépondérance de l’un sur l’autre (la primeur accordée aux premiers dans les premières saisons tend à s’inverser de plus en plus sur les dernières).
Quoi qu’il en soit, les séries nous donnent à voir une très large diversité de modèles familiaux, parmi lesquelles évidemment nous distinguerons le modèle classique, celles qui fonctionnent différemment, voire parfois dysfonctionnent, et les cas particuliers.
Les familles classiques célébrées par la télévision se retrouvent bien souvent dans le tableau traditionnel du repas familial pris à la cuisine. Certaines sont le point de départ éternellement fixe de toutes les aventures des différents protagonistes, comme c’est typiquement le cas pour les séries animées dont les Simpson ne sont que les plus connus.
D’autres, par contre, trouvent dans les relations familiales et leur évolution l’essentiel de leur propos. C’est alors la représentation d’un fonctionnement toujours plus ou moins dysfonctionnel qui se trouve mise en scène. Et de fait, c’est de tous ces petits désaccords et frustrations que s’élabore par petites touches ce qui caractérise cette famille à part.
C’est aussi, paradoxalement, ce qui nous la rendra sympathique et permettra l’expression d’un propos vantant la vie de famille. Et de fait, si les Heck, les Braverman, les Huang et tous les autres parviennent à rester si soudés malgré leurs incessantes disputes et incompréhensions, c’est que la famille doit bien constituer une forme de lien humain supérieur aux autres, non ?
A côté de ces familles ordinaires, même dans leurs dysfonctionnements, nous trouvons ensuite toutes celles qu’une caractéristique particulière rend différentes. Il peut s’agir d’organisation, comme dans Big Love, The Riches ou Californication, ou de l’effet d’une « force extérieure » comme la maladie ou la profession de l’un de ses membres (United States of Tara, The Americans, The Big C, …).
Cela concerne aussi de très nombreuses familles dont le père est absent, comme Six Feet Under, Weeds, Brother and Sisters, Friday Night Lights, Sons of Anarchy, … L’absence de mère semble moins représenté, en tout cas dans ce type de drama familial. Par contre, elle sera un motif récurrent dans les séries d’action et les Procédurals puisqu’elle permet de faire peser un poids supplémentaire (celui des enfants) sur les épaules du héros et motive bien souvent une partie de l’action (The Strain, Lie to Me, Touch, 24, …).
Notons cependant que ça n’a pas toujours été le cas et que la figure du père célibataire a connu un certain succès à l’époque où cette situation était encore incongrue et considérée comme un phénomène de société. Aujourd’hui, les pères au foyer ou au moins très présents pour leurs enfants restent un sujet en tant que tel, pris en considération dans des séries à part comme Louie, Suburgatory ou Baby Daddy.
Enfin, pour terminer, nous pouvons remarquer combien la famille, les liens qu’elle représente ainsi que ses nouvelles configurations, sont l’objet d’un travail constant d’interrogation et de redéfinition au sein de l’univers sériel. Qu’il s’agisse de divorce, avec tous les types d’arrangement possibles (Two an a Half Men, Mom, Louie, Californication, The Good Wife, The New Adventures of old Christine, My Name is Earl, …), d’adoption (Modern Family, Major Crimes, Life Unexpected, …), de procréation assistée (Seeds, Jane the Virgin, Orphan Black, …) ou autre (Finding Carter par exemple), la famille est examinée sous toutes ses coutures. On en teste la solidité, la fiabilité mais surtout on n’hésite pas à questionner les liens qui unissent ses membres, leur justification, leur fondement.
Ainsi, des séries comme The Originals, Once Upon a Time, Supernatural ou Rectify par exemple, mais aussi Fringe, One Tree Hill, The Sopranos, Sons of Anarchy ou Game of Thrones placent-elles ces questions au centre de leurs préoccupations, sans bien sûr en arriver aux mêmes conclusions. Si certaines semblent ainsi y reconnaitre une force et la source indépassable de l’identité de leurs héros, au risque parfois d’en déterminer entièrement le destin, d’autres au contraire semblent inciter à une prise de distance salutaire afin de se libérer du poids qu’elle représente.
N.B.: Cet article reprend le propos du podcast 2×24 consacré au sujet.
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.