Lost et Nietzsche

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Comme toute grande série, Lost peut faire l’objet d’interprétations et de lectures les plus diverses sans pour autant épuiser son sujet. La question du sens me semble cependant y être plus centrale, plus déterminante, plus interpellante qu’ailleurs.

Il y a bien sûr cette fin que l’on ne se lasse de discuter encore et encore. Mais celle-ci n’est l’objet de tant d’attention que parce que, un mystère après l’autre, au fil des épisodes, au fil des saisons, la série n’a eu de cesse de soulever, chez ses personnages, comme chez ses spectateurs, la question du pourquoi. Pourquoi appuyer sur le bouton, pourquoi les monstres les plus divers, pourquoi les mises à l’épreuve et les guérisons, pourquoi partir, pourquoi rester, pourquoi revenir, pourquoi les autres, pourquoi les enfants, pourquoi l’élasticité du temps, … ?

Sur ce point, le public a été placé d’emblée dans la même position que ses personnages favoris : perdus, baladés, en quête de sens à donner à cette aventure. Car c’est bien ce qui caractérise Lost. Là où de nombreuses séries posent leur univers comme un donné, dont on accepte le fonctionnement ou pas mais qui ne semble pas devoir être fondamentalement remis en cause, Lost ne nous permet jamais d’accepter les manifestations de son univers comme des phénomènes allant de soi, parce que ses personnages n’y adhèrent jamais totalement non plus. Tous toujours sont en recherche de réponses, d’un sens à donner à tout ce qu’ils vivent ou dont ils sont témoins. La série ne nous propose rien d’autre que de suivre cet incessant questionnement. Pourquoi ?

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Cette quête de sens à donner à tout prix constitue exactement ce que Nietzsche identifie comme l’origine de la faiblesse humaine. Cette impossibilité de lâcher prise, d’embrasser véritablement sa vie telle qu’elle se présente à nous ; ce besoin permanent de trouver la « signification cachée » derrière ce que l’on vit constitue véritablement ce qui empêche aux hommes d’accéder à un mode de vie, et d’être, supérieur, celui de l’amor fati.

Lost nous place et nous maintient dans cette position d’absence à nous-même et à ce que l’on vit, de projection vers un sens plus grand, plus vrai que ce qui s’offre immédiatement à nous. Mais au même titre que l’amor fati se réalise dans l’éternel recommencement, une seconde lecture, débarrassée de cette attente réductrice, permet de profiter pleinement de l’expérience que nous propose de vivre la série : la rencontre avec ses personnages.

En ce sens, on pourrait dès lors lire son final comme l’acceptation enfin d’abandonner cette posture de mise à distance et de questionnement de l’univers pour enfin s’y immerger pleinement, accepter ce destin quoi qu’il signifie. Après tant d’heures passées ensemble, le sens à donner à tout cela perd de son intérêt. Ne reste dès lors que les liens tissés au fil du temps, les gens qui nous ont accompagnés tout ce temps, le plaisir pris en chemin.

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Pour autant, peut-on dire que Lost soit une série nietzschéenne ?

Non.

Elle entretient au contraire, presque artificiellement, notre tendance naturelle à chercher des significations dans tout, tout le temps. Elle multiplie les discours empreint de foi et de religion. Elle propose une lecture morale permanente de la lutte entre le bien et le mal. Alors que ses personnages sont dans l’incertitude permanente, déchirés entre leurs intentions et leurs travers, humains, trop humains…, jamais la série ne les laisse véritablement quittes de la notion, quoique floue, de mission. Et si Jack embrasse bien son destin, c’est uniquement en acceptant cette mission. L’omniprésence de la transcendance empêche définitivement de voir Lost comme une série nietzschéenne.

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Rien n’empêche pour autant d’en faire une lecture, une expérience, armé d’un marteau.