Sexisme et principe de réalité : le cas Sons of Anarchy
novembre 5, 2015
La question du sexisme se voit régulièrement opposer un argument-massue, parce difficilement contestable : celui de n’être que la représentation d’une réalité. Et de fait, on ne peut nier l’existence de faits sexistes.
Bien sûr, nous pouvons défendre une conception différente de l’art, plus engagée que simple miroir du monde. Nous ne pouvons cependant occulter la place prépondérante que tient le réalisme dans notre rapport à la fiction et l’immense quantité de séries, notamment, dont la prétention à reconstituer un monde, qu’il nous soit lointain géographiquement, chronologiquement, professionnellement ou sociologiquement, représente l’argument principal. La caution qu’apportent sur beaucoup d’entre elles les experts/consultants en atteste, la recherche de l’authenticité préoccupe beaucoup les créateurs, autant que le public qui n’hésitera pas à rejeter un récit qu’il ne trouvera pas assez crédible.
Aussi, dans un certain nombre de cas, la représentation du sexisme peut-il se justifier. Parfois, ne pas du tout le mettre en scène dessert d’ailleurs davantage la cause féministe en entretenant l’illusion d’une situation parfaitement égalitaire. Il serait ainsi absurde de n’accepter que les récits nous représentant des rapports pacifiés.
Le rôle principal de la fiction étant d’interroger les normes sociales qui nous entourent et de mettre en scène de manière fantasmée, donc relativement sans risque, les conflits qui les tiraillent en permanence, il est salutaire de la voir traversée par ces problématiques. Et plus une série s’attaque à ces questions, plus il y a de chances qu’elle fasse bouger les lignes (même si c’est aussi, malheureusement, la raison pour laquelle elle prête plus facilement le flan aux critiques rapides).
C’est pourquoi il me semble absurde de rejeter a priori toute violence, fut-elle sexuelle, symbolique, paternaliste, ou autre. Une série qui donne à voir la domination ne la cautionne pas pour autant mais peut, au contraire, la questionner, la travailler, en faire son cheminement. C’est pourquoi, également, juger quelques épisodes isolés, sans tenir compte de la trajectoire de la série, peut mener à des procès d’intention sans autre fondement que l’ignorance de l’œuvre en question.
Si l’on peut donc représenter le sexisme sans être pour autant une série sexiste, il existe cependant un grand nombre d’œuvres qui s’abritent sous le parapluie du réalisme pour donner à voir à son public une débauche de scènes problématiques sans pour autant les problématiser. Or, c’est bien là que se situe la frontière entre fiction sexiste et fiction s’affrontant à une réalité sociale.
Dans le cadre de cette réflexion, Sons of Anarchy se révèle un cas d’école particulièrement éclairant. Nous donnant à voir la vie, les us et coutumes, d’une bande de motards aux pratiques mafieuses, la série pourrait, en effet, sembler excuser les agressions constantes dont sont sujets ses personnages féminins par l’organisation réelle de ces gangs exclusivement masculins, ou presque, et particulièrement enclins à la violence.
Pourtant, si cette série me semble si problématique, c’est que la représentation de ces actes est loin d’être neutre. Le dispositif narratif les présente, en effet, non seulement comme un motif récurrent, et donc attendu du spectateur, mais aussi comme autant de réactions justifiées par le caractère de la femme qui en fait les frais, souvent dans une position de pouvoir abusif ou ayant outrepassé son rôle. Poussé à détester les figures de ces femmes, généralement folles et/ou incompétentes, le spectateur sait et attend, avec une jouissance induite par le récit, la punition qu’elles méritent.
Dans ce schéma, il est intéressant de préciser que le fait que cette violence soit souvent le fait d’une femme n’enlève absolument rien à sa dimension sexiste. Au contraire, la série tend à faire de la figure de Gemma, la matriarche, la plus grande protectrice et donc au final la seule responsable de l’organisation sexiste du clan. Défendant ce système jusqu’au bout, jusqu’à outrepasser son rôle, elle finit même par devoir presque réclamer elle-même la punition qu’elle mérite.
A ce motif, jouant évidemment sur tous les stéréotypes de la femme, de la mère abusive à la vieille qui perd la boule, vient s’ajouter une représentation assez particulière de la sexualité vue comme possession et domination, et donc moyen d’humiliation et de moquerie (ou de rires entendus dont le spectateur est rendu complice) lorsqu’il s’applique à un homme, comme c’est le cas de Juice en prison.
De même, dans le cas d’une femme de pouvoir comme la nouvelle Sheriff en dernière saison, le fait de pouvoir la posséder pour l’un des membre du club en annihile la puissance et le potentiel de dangerosité, là où le personnage joué par Ally Walker, l’agent Stahl, plus tôt était d’autant plus nuisible que les possibilités d’en faire un intérêt « amoureux » étaient nulles, vu qu’elle était homosexuelle.
Loin d’utiliser des motifs sexistes pour les remettre en cause ou en montrer la réalité, Sons of Anarchy en joue pour établir avec son public une complicité malsaine reposant sur la satisfaction que procure le spectacle de la domination sexiste. Suffisamment maline pour avancer masquée, elle fait porter à un personnage féminin l’entière responsabilité de cette violence, lui accordant ainsi une légitimité d’autant plus grande qu’elle est défendue par celles qu’elle soumet.
Ainsi, le réalisme n’a en vérité que très peu de rapport avec le caractère sexiste ou pas d’une fiction. Pour citer un autre exemple largement discuté, ce n’est pas le fait de montrer des viols qui fait de Game of Thrones une série problématique. Par contre, la systématicité et l’absence de problématisation de ces scènes en font à la fois un motif attendu par le spectateur et un état de nature si peu important qu’il participe simplement du décor, de l’ambiance.
Or, c’est bien de ce dispositif consistant à faire du public, à travers les sentiments que les personnages et les intrigues induisent en lui, un complice jouissant du spectacle de ces scènes, souvent justifiées par le principe du réalisme, qui est particulièrement problématique.
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