Battle Creek ou le réalisme en question
mars 8, 2015
Voici que parmi les nouveautés de la semaine nous arrive sur CBS une série aux créateurs prestigieux, Vince Gilligan et David Shore : Battle Creek. Et comme si les ombres de Grégory House et Walter White ne suffisaient pas à donner envie, ajoutons la silhouette de Ryan O’Reilly, étroitement attachée à son interprète, Dean Winters, ainsi que le visage toujours sympathique de Kal Penn. Avouons-le, il y a là de quoi faire rêver !
Pourtant, lorsque l’on aborde enfin le pilote, et malgré le plaisir de retrouver quelques têtes familières et une forme plutôt soignée, on se trouve un peu surpris, décontenancé, peut-être même déçu de découvrir simplement un très bon Cop Show : crime, enquête, résolution, et la traditionnelle confrontation entre deux personnalités que tout oppose, du moins en apparence. Or, cette tension entre le fantasme et la réalité se trouve justement au centre du propos que nous présente cette première introduction à la série.
Russ Agnew est un bon inspecteur dans la petite ville de Battle Creek. Bon inspecteur signifiant là avant tout capable de faire son métier dans des conditions déplorables, sans aucun moyen technique ou financier. Moralement très désabusé, physiquement usé, c’est la figure même du flic à l’ancienne, ne pouvant compter sur rien ni personne d’autre que ses capacités pour servir de pauvre rempart contre la pourriture du monde. Ses convictions, ce qui constitue son identité même, va pourtant vaciller lorsque le FBI décide d’installer un bureau local sur son « territoire ». A la tête de celui-ci, Milt Chamberlain est un beau gosse disposant de moyens considérables, d’une droiture à première vue sans faille et inspirant à tous, collègues, citoyens, suspects et médias, confiance et admiration. Autant dire qu’il a tout pour énerver Russ, d’autant plus qu’il s’avère généralement plus efficace que lui aussi sur le terrain.
Prenant à revers la valorisation habituelle du bon sens et de l’intelligence du terrain, la série nous propose dès son pilote un point de vue bien plus complexe et intéressant sur ce que l’on pourrait appeler le réalisme, le pragmatisme. Comment, en effet, lorsque l’on valorise les résultats avant tout, comme le ferait toute bonne figure de flic ancré dans le réel, ne pas reconnaitre l’apport incontestable de l’esprit confiant, positif, apparemment naïf, de celui pour qui tout semble facile, tout est donné ?
Mais comment également ne pas être frustré par ce type qui a déjà tout et auquel tout réussit ? Comment, enfin, ne pas voir le potentiel narratif, comique et idéologique d’un tel duo, permettant autant de souligner les manques de moyens chroniques des policiers que de critiquer les raccourcis et préjugés auxquels peuvent être conduits certains d’entre eux ? Comment, surtout, ne pas lire l’interrogation centrale à laquelle est confronté Russ, et nous tous avec lui, à savoir celle de nos certitudes, de notre soi-disant réalisme forgé par l’expérience, de l’abandon de nos idéaux au profit du bon sens pratique ?
Voilà la tension que nous propose Battle Creek, celle d’être là où on ne l’attend pas, celle de problématiser ce qui a toujours été présenté comme relevant du sens commun, celle de proposer un format traditionnel, éculé même pour certains, là où l’on attendait peut-être un renouveau de la série de network, celle, enfin, de révolutionner le propos avec un air de ne pas y toucher. Avec sa carte de visite à la Milt Chamberlain, Battle Creek nous fait clairement fantasmer. A nous, cependant, de faire la démarche d’aller au-delà des apparences et de creuser, entre rêve et réalité, ce que ce Cop Show apparemment sans prétention peut avoir de passionnant.
Je parie donc sur l’énorme potentiel de la série, parce que ses têtes d’affiche me permettent de la laisser s’installer avec confiance, bien sûr, mais aussi et surtout parce que ce n’est pas tous les jours que j’ai l’occasion de regarder un pilote au propos immédiatement aussi clair, complexe et singulier.