Mon Dexter, ce super-héros.
juillet 17, 2014
« Dexter » s’inscrit dans le sous-genre des récits de super-héros : une double identité/vie, une blessure originelle, un territoire (ville), un délitement moral et social, avec en tête les ratés de la justice, exigeant l’intervention d’un homme providentiel, le danger que tout attachement de sa part fait courir à ses proches, un discours confrontant en permanence la loi des hommes et celle d’un seul (code de Harry), … mais aussi, un développement minimal des enquêtes et des personnages secondaires, le caractère spectaculaire de certains super-vilains, le fait que les proches, tout comme les civils et les victimes, ne servent jamais que de prétextes narratifs.
Pourtant, « Dexter » ne s’inscrit dans ces codes que pour mieux les interroger et parfois les sublimer. Il place ce type de récit face à ses propres limites : rares sont les super-héros qui poussent à ce point la réflexion sur la bête qui sommeille en eux. Ou, du moins si elle reste largement métaphorique chez Batman ou Spiderman, elle est ici explicitée et modernisée (en tout cas, rendue plus réaliste), au point finalement de tenir une place plus importante que celle traditionnelle sur « l’auto-défense ».
Bien sûr, les ambiguïtés subsistent : tant les médias que la police s’interrogent sur le traitement à réserver à ce tueur de tueurs. Mais, nous spectateurs, qui suivons l’histoire depuis le point de vue, la tête même, de Dexter, nous savons. Nous savons qu’il s’agit de nourrir une soif, nous savons qu’elle avait fini par effrayer Harry lui-même, nous savons que, à cette fin, il lui arrive de précéder la police qui aurait pu faire son travail s’il lui en avait laissé l’occasion, nous savons aussi qu’il lui arrive parfois de faire des erreurs et que pour couvrir ses traces certaines personnes sont mortes bien à propos.
Dexter, c’est l’autre visage du super-héros, celui qu’on ne nous montre et auquel on ne pense que rarement, c’est le véritable prix à payer. Pas seulement le côté « un grand pouvoir exige une grande responsabilité » qui exige généralement le sacrifice, si pas de ta vie, au moins de ta vie affective, mais surtout le côté « si tu regardes l’abîme, l’abîme aussi regarde en toi ». Il n’y a pas de salut possible. Les manquements de la justice ont fait de lui un monstre qu’on a réussi un temps à canaliser au service de la société mais il ne peut expurger toute la monstruosité ni de la ville, ni de lui-même. Et, à force d’essayer, il ne peut que devenir que ce contre quoi il est destiné à lutter.
C’est en tout cas, l’aboutissement logique auquel cette série nous amenait à son rythme.
Ce qui me conduit au traitement dont cette mécanique subtile et magnifique à subit les outrages, l’épilogue approchant. Contrairement à d’autres, déçus de la première heure, qui ont cessé d’aimer cette série au bout de 2,3 ou 4 saisons sous prétexte que le personnage n’est pas devenu celui qu’ils voulaient qu’il devienne, j’ai suivi religieusement le déploiement du récit autant qu’il était humainement possible de le faire. J’ai, par exemple, adoré l’épilogue de la saison 5 et fermé les yeux sur certains errements admissibles lorsqu’une série dure. Peu à peu, j’ai cependant vu la qualité de la réalisation, autant que du scénario et du discours baisser jusqu’à atteindre un niveau à peine supportable lors de la saison 8.
En dehors de scènes risibles, comme celle du pantalon magique qui se volatilise une fois que le couple atterrit au lit ; en dehors du gâchis de personnages nouveaux et prometteurs tués gratuitement, en dehors d’une fin qui ne clôture pas grand-chose, …ce qui me semble impardonnable c’est la trahison du propos. Dexter, dont le docteur Vogel ne cesse pourtant de dire qu’en tant que psychopathe il ne ressent pas (ou presque) d’émotion, passe la saison à s’étendre sur ses sentiments. Evacuées les réflexions sur le rapport à la loi, quant à celles sur son intégration possible parmi les humains, elles sont totalement piétinées au nom d’un discours mièvre sur le caractère rédempteur de l’amour. Et même s’il n’atteint jamais son « Argentine », ce n’est en aucun cas pour une impossibilité interne mais pour une raison de circonstances malheureuses. Et ce n’est pas la (hum !) « subtile » référence à la saison 1 par la présence d’un camion frigorifique qui peut rattraper un dernier épisode calamiteux, dont le sort réservé au corps de Deb n’est que l’apothéose.
Bref, comme son personnage éponyme, cette série fait désormais partie des monstruosités pour lesquelles aucune rédemption n’est possible. Pendant longtemps pourtant, elle nous a permis d’explorer ce que les récits de super-héros ont de mieux à nous offrir.
RIP, donc, série adorée, autant qu’honnie.
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