Pourquoi Dawson c’est génial ?
septembre 11, 2015
Si l’on dépasse le côté racoleur, et peut-être un peu provocateur, du titre, qui se veut un clin d’œil au podcast du (presque) même nom consacré à Buffy, la question se pose sérieusement pour moi de savoir pourquoi, malgré les années qui passent, malgré ma culture sérielle qui s’élargit toujours davantage, ne faisant que mettre en évidence un peu plus chaque fois ses nombreux défauts, malgré l’identification de moins en moins évidente avec ses personnages au vu de mon âge avancé ; pourquoi, donc, dans ma vie le besoin d’un retour à Dawson reste toujours aussi vivace.
(N.B.: pour ceux que la longueur de cet article rebuterait, vous trouverez ici une critique précédente sur cette série, beaucoup plus courte et abordable.)
Bien sûr, une part de l’explication peut sans doute se trouver dans un certain nombre de données subjectives, ayant trait à mon vécu et à ma personnalité. Contrairement à un reproche régulièrement formulé à son encontre, par exemple, les dialogues de la série me sont extrêmement réels car, oui, sans doute que je parlais un peu comme ça à l’adolescence.
Cependant, je suis convaincue, malgré l’aura largement ridicule qui l’entoure aujourd’hui, que, si sans doute il n’y aurait pas matière à consacrer un podcast vraiment intéressant par épisode, comme c’est le cas pour Buffy, Dawson’s Creek comporte suffisamment de qualités objectives pour que l’on puisse y reconnaitre autre chose que le frisson qu’il aurait pu procurer à la midinette qui sommeille en chacun de nous.
La critique :
Commençons donc notre investigation par les critères les plus tangibles, à savoir les personnages et l’intrigue. (Nous nous attarderons sur le propos un peu plus tard.) Pour ce faire, une remarque s’impose à nous d’entrée de jeu : ces critères, s’ils méritent que l’on s’y attarde, ne sont pas suffisants pour embrasser notre sujet.
En effet, Dawson n’est pas à proprement parler une série de personnages, elle n’est pas non plus, loin s’en faut une série « high-concept » qui tiendrait sur l’intérêt de ses intrigues. Cette spécificité, on va le voir, si elle explique en large partie son caractère imbuvable, permet dans le même temps l’exploration d’une autre voie, plus complexe mais qui en fait aussi le caractère si intéressant.
Dawson n’est pas une série de personnages pour la simple et bonne raison que, pris individuellement, la quasi-totalité de ses personnages sont tout simplement insupportables de névrose et d’indécision. Ça n’a pas toujours été le cas. La première saison est sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, assez différentes des cinq autres. Même si chacun ne représente finalement qu’une face de la même question du rapport à la vie rêvée, fantasmée, parfaite, les personnages sont relativement bien caractérisés et équilibrés.
Dès la saison 2, cependant, la psychologie de chacun va se voir lissée au fur et à mesure des intrigues afin de se plier aux impératifs des rebondissements, en l’occurrence ici des changements de cœur. Ainsi, Dawson, de rêveur mais aussi moteur de projets pour tout son entourage, va peu à peu devenir l’insupportable chuineur que l’on connait, incapable d’aller de l’avant et/ou de tourner la page. Et nous passerons sur le cas de Joey qui s’est tellement lissée qu’elle semble simplement ne plus être le même personnage.
Je voudrais d’ailleurs m’attarder cinq secondes sur les acteurs, et en particulier sur le cas de James Van Der Beek. Contrairement à d’autres qui se sont reconvertis avec plus ou moins de succès, reconnaissons en effet que les gros plans de Dawson en pleurs, qui circulent encore en permanence à la plus grande joie des internautes, sont absolument ravageurs pour ce pauvre acteur, qui n’a pourtant pas ménagé sa peine pour se décoller cette image de la peau. Si l’on prend la peine de considérer la performance, on ne peut néanmoins que reconnaitre la générosité et l’abnégation qu’il a fallu à ce garçon, encore relativement jeune pour délivrer une interprétation si marquante, encore 15 ans plus tard.
Bref, les personnages, en eux-mêmes, ne suffisent certainement pas à justifier la longévité et le succès de la série. De même, les intrigues, si on prend la peine de les observer un peu, se révèlent la majorité du temps loin d’être palpitantes, quand elles n’apparaissent pas tout bonnement ridicules.
La gestion de certains arcs narratifs longs, courant sur une saison complète, sont parfois particulièrement bien gérés et appréciables en terme de construction et de gestion de la durée. Au sein des épisodes, cependant, les « trous » laissés entre la progression de ces intrigues principales se voient la plupart du temps comblés par des histoires beaucoup moins bien menées.
Qu’est-ce qui pourrait donc bien justifier que l’on veuille continuer de regarder une série dans laquelle il ne se passe quasiment rien, et dont les personnages nous sortent par les yeux la plupart du temps ?
Ce que Dawson’s Creek propose, ce qui en fait une part du charme et de l’intérêt, c’est ce qui se passe entre ces personnages, ce sont leurs interactions, leurs dialogues, mais aussi parfois le silence qui les sépare. Car, si chacun est individuellement une tête à claque, le lien qui les unit, son indissolubilité mais aussi la manière qu’il a, au-delà des circonstances et des coups de gueule passagers, de toujours finir par s’exprimer avec bienveillance, c’est ce lien qui gagne notre sympathie.
C’est aussi lui qui donne à l’ensemble de la série un ton bienveillant et positif vis-à-vis de l’humanité dans son ensemble. Car si chacun se révèle en fin de compte raisonnable et compréhensif, cette caractéristique finit par concerner tout le monde, même les antagonistes, que ce soit pour une saison entière ou un épisode isolé. Ainsi, en six saisons, nombreux sont ceux qui, suite à un préjugé, une altercation, voire un ensemble de manigances, finiront grâce au dialogue par accéder à une forme de reconnaissance de leur point de vue.
On peut, bien sûr, considérer cette vision angélique, mièvre et puérile. Je pense, au contraire, qu’il s’agit là d’une prise de position morale courageuse et assumée. Au même titre que Dawson revendique la possibilité de parler d’émois amoureux sans forcément en passer par la sexualité, le choix de dépasser les catégories définitives pour donner à voir des êtres humains divers mais respectables se révèle finalement la position la moins simpliste.
Les seuls qui semblent ne finalement pas mériter ce traitement seront les intolérants, qui n’auront simplement pas mérité qu’on leur accorde cette attention, sans doute, aussi, parce qu’ils ferment la porte au dialogue.
Or, le dialogue, les dialogues constituent un fondement incontestable de l’univers dawsonnien. D’aucun y ont vu une note trop irréaliste et supportent mal le caractère particulièrement bavard de la série. Pourtant, c’est bien dans les dialogues, rien d’étonnant puisqu’ils sont l’expression de l’interaction dont nous venons de parler, que l’on va pouvoir en puiser la sève.
Ils sont non seulement le lieu où tout se joue, le terrain de tous les enjeux, puisqu’il, si on emprunte au langage d’Awkward, la série dans son ensemble peut être vue comme une interminable M.A.P., mais ils constituent également une référence inépuisable pour quiconque tente de comprendre le domaine, échappant largement à notre rationalité, des émotions.
Soyons clair, la série n’apporte pas toujours satisfaction sur ce point, et plus elle avance et plus elle a du mal à justifier psychologiquement certains choix clairement narratifs, destinés à prolonger la vie de la série, mais jamais elle n’arrête de se coltiner ce sujet quasiment impossible à saisir.
Si on peut admirer la manière dont Buffy permet d’explorer ce même terrain, reconnaissons que l’évocation symbolique que permet le fantastique offre une liberté et un recul dont ne dispose pas un univers plus réaliste. La part d’interprétation laissée aux spectateurs offre une marge de manœuvre bien plus grande puisque chacun pourra y voir ce qu’il est venu y chercher.
Malgré de nombreux défauts, donc, Dawson se construit sur l’exigence, impossible et pourtant passionnante, de dire, d’expliquer, de comprendre ce qui se cache derrière nos réactions émotionnelles, cet indicible mélange d’angoisses et de rêves enfuis en chacun de nous. Et parfois, je crois qu’elle arrive à en saisir une part de vérité, à cueillir, au détour d’une phrase, une part d’inavoué en vous, à éclairer d’une lumière nouvelle ce qui jusque-là vous paraissait incompréhensible chez l’autre.
Pourtant, et c’est d’autant plus remarquable, cette série construite sur ses dialogues n’en donne pas moins la mesure de la part d’indicible, de silence, d’incompréhension qui perdure au cœur de chaque relation humaine. Elle ne nous démontre au contraire que de manière plus éclatante combien l’analyse, l’expression et la rationalisation de nos affects, si elles sont nécessaires si l’on veut comprendre et être compris des autres, n’en resteront pas moins une infime partie du ressenti de chacun. Et combien parfois ce que l’on désire le plus intensément est aussi ce que l’on renie avec le plus de force.
Le propos :
Car s’il est un thème que Dawson explore obstinément et sous toutes les formes possibles, c’est bien celui du rapport ambigu entre fantasmes et réalité. Racontant le quotidien d’un adolescent nourri d’images cinématographiques, la série est peuplée de références, visuelles, narratives ou plus simplement dialoguées à cet univers. Non seulement les héros regardent des films, parlent des films, réalisent des films, mais de nombreux épisodes sont construits eux-mêmes en référence à des films. Abordés par des personnages baignés depuis toujours dans ce bain de fictions, les questions du passage à l’âge adulte, de l’amour et de la sexualité sont donc toujours évaluées en fonction de ce background.
Or, et c’est justement ce qui rend la démarche si pertinente, pour cette bande d’adolescents qui n’ont encore que très peu eu l’occasion de vivre leurs propres expériences, les films représentent leur seule voie d’accès à ce qui les attend. Encore vierges (littéralement) de toute réalisation, de tout choix, ils n’ont jusque-là vécu qu’à travers le simulacre de la fiction.
Notons que ce n’est pas entièrement vrai, cependant, de la nouvelle venue, celle qui va bouleverser leur ronronnement habituel et les pousser à prendre conscience d’eux-mêmes (et de leur nudité ?) pour la première fois, Jen. Jen qui se présente elle-même constamment comme une fille qui a dû grandir trop vite, l’Eve moderne qui a précipité leur bannissement du paradis de l’enfance.
Or, dotée de cette préscience de ce qui les attend, il est intéressant de constater que Jen, si elle semble participer de la même dynamique paralysante que les autres face à ce grand pas à franchir, se distingue cependant par ses motivations. Là où les autres idéalisent, fantasment cet avenir qui s’ouvre à eux et ont peur de se lancer par crainte de faire fausse route, Jen, elle, tente désespérément de faire marche arrière car elle ne sait que trop ce qui l’attend.
Revenue de tout, elle est incapable d’avancer non parce que ses rêves la paralysent mais parce ses idéaux se trouvent derrière elle, dans une forme d’innocence retrouvée. C’est pourquoi, si on peut regretter la trajectoire de ce personnage, ainsi que sa conclusion lors du final, elles se révèlent parfaitement cohérentes avec le propos de la série.
Car, si la question du rapport entre nos rêves et la réalité est si centrale dans Dawson, c’est qu’il constitue la porte d’entrée idéale pour saisir ce qui constitue le cœur de la série, et finalement j’oserais dire de l’adolescence en elle-même, à savoir cette période de latence, d’attente, de dernière inspiration avant de plonger dans la vie réelle, celle qui va compter, celle d’où l’on ne peut faire marche arrière, celle qui laisse des marques indélébiles.
Déjà marquée, Jen ne peut avoir d’avenir parce que, déjà immergée jusqu’au cou, elle use de toute son énergie pour retourner sur la berge. Aussi, la seule forme de rédemption qui lui soit possible se présentera sous la forme d’une renaissance, en la personne de sa fille à laquelle elle conseille de ne surtout pas grandir trop vite. Bien que douloureuse et frustrante, cette période de latence, semble nous dire la série, est, en effet, une étape essentielle à la catalyse de nos rêves en réalité.
Or à travers ses innombrables métaphores, plus ou moins réussies, et références, la série ne parle de rien d’autre que de ce pas à franchir et de la trouille paralysante que l’on ressent juste avant de le sauter, de la formidable impulsion que nous donnent nos rêves et de l’écrasante angoisse qu’ils entrainent dans leur sillage de ne jamais parvenir à les réaliser.
L’ambition de saisir ce sentiment, pourtant si juste et central pour comprendre la psychologie adolescente, explique probablement en partie pourquoi cette série fait l’objet d’un rejet aussi large. Quoi de moins télégénique, en effet, que l’inaction, la paralysie, l’immobilité, le sur-place ? Or, Dawson’s Creek ne représente que ça, en six saisons, du pilote qui les place sur la ligne de départ au final qui marque le coup d’envoi.
Entre les deux, on tourne en rond, on vit quelques faux départs mais ce n’est que pour mieux revenir à la situation initiale. Si l’on envisageait un schéma narratif de l’ensemble des six saisons, sans doute verrait-on combien la seule prise de conscience qui différencie le début de la fin, c’est que, que l’on se lance ou non, la vie suit irrémédiablement son cours. Mais aucun ne s’est encore réellement décidé à faire le choix qui donnera une inflexion définitive à leur vie.
J’ajouterais que, si l’immobilisme n’est, il est vrai, pas des plus excitant à suivre pour le spectateur, notons cependant que le choix du format sériel pour le représenter est par contre particulièrement juste. Plus que tout autre format, en effet, la série se présente d’emblée comme le lieu de prédilection de la répétition, de la permanence au sein du changement perpétuel, de la quotidienneté aussi.
Attention, cependant, de ne pas confondre paralysie et série mollassonne dans laquelle rien ne se passe. Au contraire, rien n’est plus riche et plus intense que cette période où tout ce qui bout en toi n’a pas encore trouvé de voie pour s’exprimer. Or, si Dawson et ses amis sont d’interminables pleurnicheurs, s’ils sont constamment au bord de la crise de nerf, c’est que rien n’exacerbe plus les sentiments que cette situation, frustrante à l’extrême, dans laquelle tu n’es pas encore aux commandes de ton destin. Les disputes insignifiantes, les cris, les pleurs ne sont que les symptômes de cette impuissance.
Pendant cette période, non seulement une large part de notre vie ne dépend pas de nous et on dois subir les décisions des autres, mais on ne sait souvent pas encore totalement ce qu’on veut et on remet en question ce qu’on croyait être ou vouloir depuis toujours. On essaie de nouvelles voies, qui se révèlent à sens unique, on pratique une forme de doute systématique, en phase tabula rasa, et s’en est fragilisant à l’extrême, ce qui explique qu’une série nous représentant cette forme de sur-place puisse, dans le même temps, être aussi chargée en émotion.
Car, si du point de vue narratif il ne se passe rien dans Dawson, on ne peut en dire autant de ce qui nous est montré de la violence des sentiments. C’est physiquement douloureux. L’incapacité à traduire ce qui vit en soi à travers les actes se paie en souffrance brute et, s’il ne s’agit certes que d’une petite série pour ados, celle-ci arrive régulièrement à transmettre cela, au point d’en être inconfortable parfois.
La puissance et l’omniprésence de ces sentiments intérieurs qui nous dévorent nous ramènent, mine de rien, au thème du rapport entre fantasmes et réalité. La série nous démontre, en effet, en permanence combien notre vie intérieure est bel et bien réelle. Au même titre que la fiction, qui peut être considérée comme un personnage à part entière, voire central, de la série, l’’intériorité y prend une place de premier choix. Rien d’étonnant à cela, si l’on y pense, puisque l’impuissance à agir sur le monde rend ce qui n’arrive à se réaliser, ce que l’on contient de rêves et de peurs, d’autant plus présent.
Contrairement à d’autres séries, cependant, cette place ne nous est pas représentée par des artifices narratifs, comme la mise en scène du discours intérieur, de scènes imaginées ou simplement le récit en voix off. Paradoxalement plus « naturaliste » dans sa manière de nous montrer ce que l’on ne peut voir, seuls l’interaction entre les personnages, les dialogues et les silences dont je parlais plus haut, et, donc, le jeu des acteurs permet le dévoilement de cette intériorité de chacun, ce que je trouve particulièrement audacieux et, en l’occurrence, réussi.
Cette ambition réaliste rend d’ailleurs le propos développé d’autant plus puissant qu’il se dévoile dans chaque aspect de la série. Ainsi, par exemple, la place donnée au travail, rémunéré ou pas, et aux nécessités économiques auxquelles sont soumis les personnages est particulièrement importante par rapport à la grande majorité des autres teen dramas. Or, face aux rêves, aux fantasmes, aux fictions de chacun, cet aspect constitue un rappel permanent de l’équilibre à trouver dans nos vies entre virtuel et réel, intérieur et extérieur, mais aussi principes et réalité.
Si la série cherche constamment à déterminer la place que la fiction doit prendre dans nos vies, elle adopte dans le même temps une vraie morale de l’action qui rend le propos d’autant plus intéressant. Et de fait, s’il est primordial de s’autoriser à rêver, Dawson, en nous montrant une bande de jeunes empêtrés dans ces projections d’eux-mêmes, nous affirme dans le même temps qu’il est tout autant vital de les mettre en œuvre, les concrétiser, même s’il en sortiront forcément un peu différents.
(N.B.: la morale de l’action dont il s’agit ici est cependant différente de celle que l’on peut retrouver dans Buffy. Joss Whedon ne cache, en effet, pas l’inspiration existentialiste de la vision du monde qu’il met en scène. Dans ce cas-ci, par contre, l’importance accordée à l’existence d’une vie intérieure, même si elle est présentée comme problématique si jamais elle ne mène à l’action, s’accorde assez mal avec la réduction de l’être à l’existence. Les personnages dawsonniens ne se résument pas à leurs actions, ils leur préexistent.)
La figure de Pacey, sur ce point me parait particulièrement révélatrice. En effet, ce personnage semble souffrir moins que les autres de paralysie, ce qui le rend d’ailleurs (beaucoup) moins pénible. Bien souvent, c’est ainsi qu’il est caractérisé, il agit sur l’impulsion du moment, sans réfléchir aux conséquences. Pourtant, il n’échappe pas à l’impossible conciliation des rêves et de la réalité, figeant ses amis. Il ne fait que la court-circuiter en éliminant les premiers de l’équation.
Beaucoup moins confiant en lui, ses capacités et ses possibilités d’avenir, Pacey n’est capable de vivre que dans le présent. C’est d’ailleurs dans ces moments, dans l’urgence du moment, qu’il révèle toutes ses ressources. Mais dès que s’entre-ouvre devant lui la possibilité d’un avenir, il se montre incapable de supporter la pression et préfère plonger dans l’inconnu avant que ne se réalise ses pires craintes. L’avenir, pour lui, n’a rien d’un rêve inatteignable, c’est la réalisation inévitable de son destin de looser, qu’il fuit inlassablement espérant ainsi gagner du temps.
Pourtant, si c’est bien dans cet élément qu’il est le plus à l’aise – notons que son passage par la finance, où tout se joue sur l’instant, se révèle particulièrement pertinent sous cette lumière – ce n’est cependant pas là que se trouve son bonheur. Parce que c’est sa caractéristique, vivre dans l’instant n’a qu’un temps et, pétri presque à son corps défendant du même idéalisme que les autres, Pacey ne peut finir que par se lasser et espérer plus. Il a simplement plus de mal encore à imaginer cela possible.
Enfin, parmi les fictions dont la série nous affirme la réalité et qu’elle nous rappelle, peut-être, de reconnaitre en nous, l’existence d’un lien intime, profond et indéfectible qui nous attache au-delà de toute circonstance à certaines personnes, participant bien sûr autant du fantasme que de la vie intérieure mis en lumière plus haut, constitue une prise de position suffisamment importante pour être relevée en tant que telle. Il s’agit là d’une profession de foi, à laquelle on adhère ou pas, bien entendu, mais qui nous dit également quelque chose de ce que la série essaie de transmettre.
On peut, évidemment, le comprendre comme la reconnaissance de la dimension fondatrice de l’adolescence, et des amis nous entourant à cette période, pour tout être humain. Mais, chez les héros de Dawson’s Creek, ce lien se confond une fois encore parfaitement avec les fictions qui les habitent et les animent puisqu’il en représente le fantasme le plus fort, à savoir celui de l’âme-sœur (à ne pas comprendre forcément au sens romantique le plus étroit mais dans une acception plus large). Puisqu’il est le plus puissant de tous, il est donc logique que ce fantasme soit aussi celui qui génère la plus grande angoisse, la plus paralysante, celle de voir un jour ce lien se déliter.
Or, la résolution de cette angoisse sous la forme d’une fiction insérée dans la fiction offre une vraie clôture à la série, et au propos qu’elle a tenté de développer, sans pour autant céder au simplisme de la réponse définitive ou à l’angélisme du Happy End. Ici encore, comme pour tout ce qui concerne le point de vue global que l’on peut porter sur la série (relations, arcs narratifs longs, usage de métaphores et propos), le final se révèle extrêmement bien pensé, et c’est suffisamment rare pour être souligné. Non seulement chaque personnage connait une fin parfaitement cohérente avec son parcours mais le questionnement fondamental qui traverse l’ensemble des six saisons trouve une conclusion permettant de réconcilier en chacun fantasme et réalité.
En prenant conscience que décider si Sam devait finir avec Peter ou avec Colby n’avait pas vraiment d’importance, lui qui n’a jamais pu vivre sa vie qu’en la fictionnalisant, Dawson redevient le héros de l’histoire, et de son propre destin, celui d’un conteur d’histoires. Quant à Joey, Pacey et les autres, personnages éternels de sa vie intérieure mais libérés du poids de vivre selon son scénario, ils acquièrent enfin leur droit à l’altérité.
Car s’il est un fantasme qui nous habite tous, c’est bien celui-là, celui du créateur de droit divin, celui de réaliser à l’identique chaque image qui nous habite, celui de pouvoir contrôler, aussi, les autres comme notre création, … Et c’est de ce fantasme, nous laissant miroiter une adéquation parfaite entre vie intérieure et vie extérieure, que l’adolescence nous apprend à faire le deuil. En tout cas, c’est ce que nous retiendrons de Dawson’s Creek.
Conclusion :
J’espère avoir démontré combien cette série, au même titre que beaucoup d’autres, réussit à tisser une toile de signification extrêmement dense, riche et cohérente à travers son questionnement singulier du rapport entre rêve et réalité.
En ce qui me concerne, à l’arrivée de cette analyse, je pense avoir un peu mieux compris pourquoi cela me parlait autant, hier comme aujourd’hui. Car, si la problématique est particulièrement pertinente pour parler de l’adolescence, il n’y a en vérité pas d’âge pour se retrouver paralysé par l’ampleur de ses espoirs, de ses ambitions, de son potentiel inexprimé.
J’ajouterai que si les séries me touchent, me font réfléchir, m’enthousiasment, aucune n’a jamais réussi à me retourner les tripes comme arrive encore à le faire Dawson au bout de très (trop ?) nombreux visionnages. Aucune n’a réussi, selon moi, à gérer avec autant de minutie la progression nécessaire au spectateur pour se retrouver en totale empathie avec les personnages au moment de l’expression, tant réprimée, de sentiments retenus. Aucune n’est parvenue à reconstituer avec autant de violence les émotions adolescentes.
C’est pour ces raisons, et sans doute encore pour bien d’autres que je n’ai pas pris la peine de développer dans cet article, décidément trop long, que je continuerai encore longtemps à affirmer que Dawson, c’est génial.
P.S.: Si cette analyse globale ne vous a pas encore suffit, vous pourrez trouver ici un examen plus détaillé de la question du sexe dans cette série.