True Detective, saison 2, à l’autopsie
août 13, 2015
Cet article a fait d’objet d’une publication antérieure sur le site de Small Things.
Pour aborder le nouveau volet de cette anthologie, deux positions semblent devoir s’affronter : celle qui souhaite analyser cette intrigue indépendamment de celle proposée l’année dernière par cette anthologie et celle s’interrogeant sur la cohérence de la série et comparant les deux saisons. Quoique je fasse personnellement partie de ceux qui pensent que la comparaison est inévitable, je commencerais par adopter la première position qui mérite, me semble-t-il, que l’on s’y attarde malgré tout.
La question à laquelle je me retrouve dès lors confronté est la suivante : aurais-je regardé ces 8 épisodes s’ils n’avaient pas porté la « marque » True Detective dont j’avais apprécié la qualité du « produit » précédent ? Cette saison tient-elle pour elle-même, sans référence d’aucune sorte à la première ? A-t-elle des qualités, des arguments qui lui permettent de tenir la route, et maintenir mon intérêt, sur huit semaines ?
Tâchons d’observer ce qui nous est proposé : une série HBO réunissant quatre noms connus et plutôt reconnus, Colin Farrell, Vince Vaughn, Taylor Kitsch et Rachel McAdams. L’intrigue nous propose d’explorer les dessous pourris jusqu’au trognon de l’organisation politique, économique et criminelle d’une petite ville de Californie, Vinci, à travers la découverte du corps mutilé d’un homme aux activités troubles.
Les trois inspecteurs chargés de l’enquêtes, comme dans tout polar qui se respecte, sont des survivants, abîmés par la vie et tenant debout à coup de mensonges et d’autodestruction. L’ambiance est donc particulièrement noire et lourde, les corps sont aussi fatigués que les consciences, les décors, sombres, la musique, lancinante. Bref, ça tire la tronche à tous les étages, on fuit la lumière du jour et la lumière du jour est privée de ses couleurs.
Jusqu’ici, pourquoi pas ? Et pourtant, je ne vais pas maintenir le suspense plus longtemps, ça ne le fait pas du tout ! Je relève personnellement trois raisons qui empêchent la sauce de prendre.
Pour commencer, la direction des acteurs semble inexistante ou limitée à sa plus simple expression. On semble leur avoir dit à tous de jouer sur le même mode, pesant et grave, comme s’ils avaient confondu lourdeur et profondeur. Si l’on peut comprendre qu’il faille une certaine homogénéité de jeu afin de donner consistance à l’ambiance que l’on veut transmettre, l’effet ici est inverse puisque le manque de nuance empêche de donner vie et épaisseur à ces personnages. Leur seule spécificité devient dès lors leur background, qu’on pourrait globalement estimer équivalemment tragique et qui, dans ces conditions, apparait purement intellectualisé, donc artificiel.
Ceci nous amène logiquement à notre deuxième problème : l’ambiance finit par devenir, au mieux, énervante, au pire, ridicule. Les phrases sibyllines, la musique qui ajoute du pathos au pathos, les scènes, encore une fois, qui sentent à plein nez l’intention des scénaristes, l’absence totale de nuance, de recul, tous ces éléments font que l’on a beaucoup de mal à se concentrer sur les enjeux de l’intrigues.
Et voici donc où je situerais le troisième problème : l’intrigue est quasiment impossible à suivre. Déjà particulièrement compliquée, avec une multiplication, des acteurs et un enchevêtrement d’enjeux et d’objets d’investigation, la série prend un malin plaisir à brouiller les cartes, à glisser une information importante quand elle a le moins notre attention. Les face-à-face importants semblent sciemment écourtés ou détournés de leur objet, ce qui en fait des moments particulièrement frustrants.
Bien sûr, on peut imaginer qu’il s’agit du résultat d’une recherche de réalisme afin que l’on soit au plus proche de l’état d’esprit des enquêteurs. Malheureusement, l’effet atteint est beaucoup moins efficace puisque même les évènements forts vécus par les personnages nous restent difficiles à interpréter. J’ai passé mon temps à me demander ce que j’avais loupé, comment et pourquoi tel événement avait lieu.
Bref, pour répondre honnêtement à ma question de départ, je crois que je n’aurais pas suivi cette saison jusqu’au bout sans les promesses qu’apportait en gage la première. Je me suis souvent ennuyé, j’ai plusieurs fois été gêné pour certains acteurs de l’interprétation qu’ils fournissaient et au même titre que les scénaristes semblent avoir trop intellectualisé comment obtenir l’effet recherché, je me suis surpris régulièrement à m’interroger sur l’échec de cette intention si évidente au lieu de me laisser emporter par l’histoire. Au contraire des impressionnants nœuds d’autoroutes que la série nous montre à plusieurs reprises, l’intrigue semble trop emmêlée pour pouvoir nous emmener quelque part et on finit par rester sur le bord de la route.
Je dois pourtant admettre que le final, si on a eu le courage de rattacher les wagons jusque-là est beaucoup moins frustrant que le reste. Chaque personnage atteint une forme de conclusion, globalement satisfaisante (quoique très cliché dans la magnification de la promesse du retour auprès d’une femme qui attend et de la rédemption dans la descendance), les acteurs semblent meilleurs, si on excepte la scène d’adieu entre Frank et sa femme, et la musique finit même par accompagner adéquatement les dernières scènes. Le désert, d’un côté, et la forêt, de l’autre, offrent des décors très différents et beaux pour des adieux, si ce n’est émouvants, au moins apaisés.
Si je devais, à présent, évaluer cette saison à l’aune de la première, je dirais que Nic Pizzolatto semble avoir voulu tenir compte des critiques qui avaient pu être émises l’année passée ou du moins prouver qu’il était capable d’imaginer une intrigue totalement différente. On est passé d’une histoire et une résolution extrêmement simple à son opposé, de deux personnages très différents passant une large partie de leur temps à confronter leur vision de la vie sur les sièges d’une voiture de fonction à une multiplication des acteurs, de leurs relations et de leur niveau d’implication, d’une série, enfin, assez pauvre en point de vue féminin à une série proposant une figure de femme forte.
Le problème étant encore une fois que tout ça semble terriblement intellectualisé. Là où la simplicité de l’intrigue permettait de se concentrer sur l’ambiance et profiter du voyage, sa complexification ne se révèle pas assez intéressante pour compenser ce qu’elle nous fait perdre en temps de pure contemplation ; là où la performance de Matthew McConaughey avait mis en lumière combien les personnages intenses peuvent donner le ton à un univers, cette nouvelle saison nous démontre avec la force d’une claque que sans le point de vue terrien et dédramatisant qu’apportait l’interprétation de Woody Harrelson, l’ensemble apparait ridiculement bancal ; enfin, là où le vrai point faible de la saison 1 se trouvait dans la gestion des intrigues secondaires, de la vie privée des policiers, la saison 2 confirme cette lacune en la démultipliant. Et ce n’est pas l’adjonction d’une enquêtrice qui aura pu y changer quoi que ce soit, le seul moment où son personnage varie véritablement des autres étant lorsqu’elle trouve une « utilité » d’intérêt amoureux, sexuel (et procréateur, porteur d’héritage) pour un des « héros ».
Le moins que je puis dire sera donc que cette saison de True Detective ne tient sur aucun point la comparaison avec la précédente. Si on comprend, que trop bien, ce qui a été tenté, il ne fait aucun doute pour moi que l’essai se révèle raté. La comparaison reste cependant particulièrement riche d’enseignement sur ce qui constitue véritablement l’âme d’une série et les détails qui peuvent la compromettre dans l’expérience de visionnage du public.