Mr Robot, l’éveil par le rêve
septembre 6, 2015
Après un pilote envoutant, mis en ligne deux semaines avant sa diffusion sur USA Network, Mr Robot est vite devenu la nouveauté la plus excitante du moment et son créateur, Sam Esmail le nouveau génie à suivre, laissant tous les sériephiles sur les dents semaine après semaine.
Or, d’emblée, si l’on ne peut évidemment que reconnaitre les qualités objectives de l’interprétation des acteurs, avec en tête bien sûr Rami Malek, mais aussi de la réalisation et de la bande son, le caractère intrinsèquement méta, référencé, assumé par la série nous propulsait dans une nouvelle dimension de ce que pourraient être, à l’avenir, nos fictions.
Immédiatement, en effet, Mr Robot, fait travailler la culture partagée des téléspectateurs. Les noms et les univers fusent dans nos têtes, comme dans les blogs et les réseaux sociaux, qu’ils proviennent du cinéma, comme Fight Club ou American Psycho, ou de la télévision, comme Dexter, notamment.
On peut penser qu’il s’inspire, qu’il rend hommage, mais plus que ça, à vrai dire, il nous invite à jouer avec lui sur un terrain de jeu que nous partageons tous sans pour autant le vivre réellement en commun. Nos fictions de masse correspondent, en effet, parfaitement à ce que l’on pourrait appeler paradoxalement un partagé intime, et qui pourrait nous permettre de caractériser nos sociétés du spectacle.
Plus que nous raconter une histoire, nous présenter des personnages, la série nous propose de participer à une partie de cache-cache avec nos références antérieures. Elle se situe d’emblée dans une position de retrait, une position spectatorielle, vis-à-vis de ce qu’elle a entrepris de nous raconter à la première personne, à travers la voix de son héros, Elliot.
Le paradoxe de ce procédé n’est cependant qu’apparent puisqu’il devient vite évident que personne n’est mieux placé pour adopter un point de vue extérieur que ce jeune homme, d’autant moins présent au monde qui l’entoure qu’il n’arrive même pas à s’habiter lui-même. C’est pourquoi, sa voix se révèle, au fur et à mesure, la mieux placée pour nous accompagner dans le dévoilement de ce qui se passe.
C’est pourquoi, aussi, l’usage de nos références fictionnelles est aussi pertinent, puisqu’il nous place dans un état d’esprit proche de son héros/narrateur, qui constamment découvre sa réalité noyée dans un océan de constructions narratives. A ce titre, les noms d’Evil Corp., Fsociety et Mr Robot ne font finalement l’effet que d’un Nième écho à ce constat omniprésent.
Si la référence permanente et assumée à des fictions antérieures se révèle donc être un procédé narratif particulièrement efficace et pertinent, il s’agit également d’une manière assez inédite et très intéressante d’envisager une série.
Alors que nous nous trouvons clairement, depuis un petit temps maintenant, dans une ère culturelle que l’on qualifiera de méta, Mr Robot pousse son investigation plus loin que la simple conscience, parfois un peu potache, d’être dans un format obéissant à certaines règles propres. Cette culture partagée, cet imaginaire peuplé de références se faisant écho devient ici un personnage, un acteur, à part entière du récit : celui qui cache mais, peut-être aussi, celui qui révèle.
Au cœur de cette conscience méta, la série entreprend, en effet, d’investiguer l’inconscient qui s’y love, la part d’absence, mais aussi d’inatteignable, parce que de plus en plus désincarnée, que représente notre rapport au monde. Paradoxalement, encore une fois, Elliot est le seul à avoir réellement réussi à avoir un impact sur le monde, et ce non parce qu’il était plus conscient que les autres, mais justement parce qu’il était la plupart du temps quelqu’un d’autre.
Cela signifie-t-il pour autant que la résistance politique consciente d’elle-même est inutile et vouée à l’échec ? Pas exactement même si, en effet, on peut considérer que, au même titre que Fight Club (comme je l’expliquais ici) appelait à se débarrasser des images trompeuses que l’on se fait de nous-mêmes pour atteindre une singularité véritable, Mr Robot nous incite probablement à reconsidérer notre vision du monde et de notre capacité d’action afin de puiser au plus profond de nous nos véritables volonté et possibilité d’agir.
S’il est un message à retenir du final, il me semble en effet qu’il s’agit de ce constat : notre monde est non seulement factice mais il nous a rendus insupportablement seuls. Or, si, sous l’omniprésence des images et des sons, nous nous interrogeons sur ce que nous voulons véritablement, bien plus que la fuite confortable dans un univers fictionnel partagé, nous découvrirons que nous voulons quitter la position de spectateur et nous réapproprier notre rôle d’acteur.
Peut-être, comme Elliot a eu recours à l’intermédiaire de Mr Robot pour parvenir à exprimer ce qu’il n’arrivait plus à ressentir par lui-même, aurons-nous besoin d’une fiction pour nous en faire prendre conscience. Ou peut-être celle-ci ne fera-t-elle que nous enfoncer davantage dans la spirale d’un monde imaginaire, partagé et pourtant si solitaire…