The Walking Dead, saison 6 : Politique >< individualité
avril 17, 2016
Cet article a fait l’objet d’une publication antérieure sur le site de Smallthings.
Voici que pour la sixième année consécutive s’est refermé un nouveau volet de la série de zombies la plus populaire du moment. Au revoir, donc Rick, Maggie, Daryl, Michonne et tous les autres, pour un temps du moins,… à moins que…
À moins que vous ne soyez la malheureuse victime du tirage au sort morbide auquel cette fin de saison nous a tous, vous comme nous, fait assister, impuissants. Mais ça, on ne le saura pas avant des mois, alors en attendant, si on faisait le bilan ?
Et pour commencer, revenons sur ce que nous avions déjà pu constater en début et mi-saison pour observer où tout cela nous a mené huit épisodes plus tard, à savoir son discours explicite, paranoïaque, incitant ceux qui n’auraient pas encore compris le nouvel ordre mondial, principalement les habitants originels d’Alexandria, à adopter une attitude d’auto-défense proactive ne reculant devant ni l’usage de la force, ni les jugements expéditifs. De fait, leur retour après le hiatus hivernal nous l’a démontré, les plus faibles étaient destinés à mourir et leur mini-société se reconstruit dès lors avec les seuls survivants. Une forme de darwinisme appliqué à la force de caractère des individualités semble régir le destin de chacun.
Pourtant, cette page de la première moitié de saison tournée, chacun adopte précisément l’attitude qu’il fustigeait chez les autres : ils s’installent, cherchent à faire des alliances et des compromis, commencent à douter. Leur préoccupation première n’est plus leur survie immédiate mais assurer la pérennité de leur mode de vie, leur avenir, à travers la grossesse de Maggie, bien sûr, et sa prise de galon au sein de l’organisation, mais aussi la formation de couples et la recherche d’une forme d’assurance alimentaire. Le prix en sera, ils ne le constateront que trop tard, l’énervement du mauvais groupe de personnes et le cruel rappel à la réalité : la survie est le seul mode d’existence possible en ce monde et elle s’accompagne généralement de solitude.
La liberté n’est envisageable qu’à ce prix et pour ne l’avoir pas compris, pour avoir cru pouvoir créer des liens et construire des projets, vivre tranquillement et faire société, nos héros, pourtant si forts lorsqu’ils sont seuls face au monde, apparaissent ensemble dans toute leur fragilité, sans autre choix que la servitude, celle imposée par une autre figure de puissance individuelle, qui n’a ni ami (comme c’est le cas de nos héros), ni administré (comme en avait le gouverneur) mais seulement des esclaves. C’est qu’être seul, être un guerrier n’est pas facile et chacun, même les plus farouches, finissent par ressentir le besoin de se perdre, de se diluer, ne serait-ce qu’un peu, un temps, dans la communauté, la famille, le couple, un lien quelconque qui le rattache à autrui. Mais ces liens affaiblissent, dispersent, détournent, au point parfois de ne plus s’y retrouver du tout. Et là se cache le risque d’aliénation absolue, celui de devenir à son tour un zombie.
On le voit, lire The Walking Dead comme une méditation sur la possibilité pour un individu d’exister pleinement au sein d’un quelconque corps social peut se révéler une piste passionnante, parce qu’elle n’apporte pas de réponse simple et définitive. Par contre, si l’on considère le discours que véhicule cette sixième saison, il apparaît clairement qu’après nous avoir affirmé et montré l’attitude à adopter face aux menaces du monde extérieur, la série poursuit sans aucune finesse sa démonstration en faisant faire, sans autre justification que l’intérêt du propos défendu depuis le début, à ses personnages principaux ce qu’ils rejetaient avec force et méfiance précédemment. Trop confiants, trop exigeants aussi quant à leur sécurité, le retour de bâton était inévitable et un peu trop attendu pour être pleinement satisfaisant. Les ficelles se voient malheureusement avec trop d’évidence pour que le message ne puisse véritablement nous interroger. On se sent davantage pris en otage et manipulé qu’interpellé.
Ainsi en va-t-il de manière plus éclatante encore de l’évolution du personnage de Carol, et de son « opposant » idéologique dans cette saison qu’est Morgan. Plus convaincue encore que les autres de la nécessité de prévenir, fusse par un meurtre, pour éviter d’avoir à guérir, on nous la montre réaliser un volte-face aussi radical qu’inexplicable dont l’aubaine scénaristique ne fait que renforcer l’impression de fausseté, de pure construction, qui s’en dégage pour le téléspectateur. Précipitant la sortie de plusieurs personnages et prolongeant, en le renversant puisque Morgan finit par tuer l’homme contre lequel elle refuse de se défendre, le débat entamé précédemment sur le bien-fondé de cette forme de « peine de mort » expéditive, cette ficelle met particulièrement en lumière la manière dont The Walking Dead a évolué cette année.
Car, si les deux dernières saisons avaient pu se voir reprocher un rythme répétitif et globalement ennuyeux, il est manifeste que la sixième souhaitait marquer un retour en force. Le problème majeur en sera le manque de cohérence psychologique des personnages qui se révèlent n’être que des pantins aux mains de scénaristes que l’on entend penser trop fort, qui cherchent le buzz en laissant planer le doute sur la mort d’un personnage aimé du public, qui créent de l’action de toute pièce à partir de prétextes peu convaincants, qui tentent de corriger leur biais très masculin, blanc et hétéro en introduisant de la diversité et en donnant un peu plus de pouvoir à certains personnages féminins, même si, au final, elles retrouvent quand même leur place de prétextes narratifs (victime ou chieuse) plus que de supports d’identification, qui veulent, enfin, à tout prix donner une dimension philosophique à leur série mais n’arrivent qu’à l’affubler d’une charge idéologique extrêmement lourde en y sacrifiant toute crédibilité.
Vous l’aurez compris, si ça fait déjà longtemps que je m’ennuyais devant The Walking Dead, cette saison a marqué pour moi le tournant de l’énervement. Il ne s’est pas passé un épisode, un rebondissement sans que je ne reste interdite devant le manque absolu de cohérence et de rationalité. Chaque décision, chaque action rompait le pacte de suspension de l’incrédulité sensé lier le téléspectateur à une fiction et je me retrouvais toutes les cinq minutes, seule face à mes pourquoi.
Pourquoi attendre de voir deux personnages mourir avant de se souvenir qu’on a une hache à la main ? Pourquoi s’attarder sur des débats sans fin alors que les intentions idéologiques de la série sont si limpides, et si peu nuancées ? Pourquoi prendre constamment les décisions les plus risquées ? Pourquoi, si ce n’est parce que ça renouvelle les enjeux et enfonce le clou idéologique ?
Pourtant, en écrivant ces lignes, le recul commençant déjà à faire son œuvre, je me surprends à considérer avec de plus en plus d’intérêt une lecture de la série comme réflexion non pas politique, au sens restreint du terme, mais sur la construction individuelle dont la pleine réalisation exigerait d’éviter les pièges et les fausses promesses des institutions sociales établies (Etat, famille, religion, humanisme, …).
Toujours assez désabusée, cette interprétation, dont la portée politique est loin d’être absente et très éloignée de la précédente, a, en effet, l’avantage d’être un peu moins catégorique car chaque personnage important se voit autant humanisé qu’aliéné par son rapport aux autres membres de leur petit groupe, même si l’individu y reste le centre indépassable de tous les enjeux et que toute organisation, instaurée, autre que cette simple relation interindividuelle y est clairement toujours présentée comme mauvaise.
Même le retournement soudain de Carol y trouverait alors une justification, ce qui n’enlève rien au manque d’explication au sein de l’intrigue elle-même qui reste souvent tirée par les cheveux, puisqu’elle se serait perdue à force de vouloir protéger le groupe et aurait donc besoin de s’isoler pour se retrouver. En reniant ses convictions pour la sauver, Morgan serait-il dès lors dans la démarche inverse ?
Notons que dans cette perspective, Maggie serait le personnage le plus inabouti, car n’ayant jamais eu à survivre sans aucune attache. Un indice sur ce qui nous attend la saison prochaine ?…
P.S.: A l’article consacré précédemment au sens que l’on peut apporter au succès actuel du thème du zombie (ici), un ajout me semble donc aujourd’hui nécessaire. En dehors de la lecture politique et sociale qui peut en être faite, il me semble, en effet, que devrait être ajoutée la valorisation à l’extrême de l’individualité portée par The Walking Dead, qui, au delà de toute considération de bien ou de mal, la présente comme la seule réalité durable du monde social.