Sexisme et séries

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Depuis quelques temps, grâce à ma lecture régulière d’articles féministes, je suis beaucoup plus sensible au problème du sexisme dans les fictions que je regarde. Il ne m’est plus possible de ne pas tenir compte du paramètre de la représentation des femmes, des hommes et de leurs relations. Ainsi, récemment certaines séries (Sons of Anarchy, Halt and Catch Fire, C.H.O.S.E.N., The Strain, Southland …) et certains films (Gravity, …), dont les critiques étaient plutôt élogieuses par ailleurs, se sont révélés très énervants, voire insupportables, à mes yeux à cause de ce critère. Le sentiment d’isolement, parmi les fans de séries, qui en a découlé explique en partie pourquoi j’ai commencé à estimer légitime de créer ce site et de produire mes propres critiques. En espérant évidemment combler un vide dans la représentation d’une partie, même minime, du public.

A côté de critiques spécifiques, comme celle de Friday Night Lights ou de Game of Thrones, en préparation, j’aimerais ici faire le point sur un état général de ce que j’ai pu constater jusqu’ici.

Il est à noter que l’analyse qui suit se penche principalement sur la fiction sensément neutre, donc pas les séries « pour femmes » de type Soap, romances, ou même Teen Drama, souvent destinées à une diffusion en journée. Cette remarque à elle seule en dit cependant déjà beaucoup sur le problème qui nous occupe. En effet, premièrement cela situe la population féminine dans une position de minorité, à laquelle on destine certains types de fiction, dont le public masculin se détournera à priori, et par conséquent également, car tout cela est lié, la critique et les spécialistes étant encore majoritairement masculins, les exigences de qualité. Deuxièmement, cette séparation, si elle offre un espace plus ouvert aux femmes, se base sur des attributs jugés féminins, comme l’attention aux sentiments et à la vie familiale, et donc renforce les préjugés. Enfin, troisièmement, comme en grammaire, on abordera « les fictions de soirée » comme neutres, alors que ce qui a été énoncé plus haut en démontre le biais masculin très marqué.

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Ainsi, on peut constater que l’écrasante majorité des séries dont les critiques estiment qu’elles valent la peine de s’y attarder sont fortement marquées par un point de vue masculin. Probablement dû en large partie à la surreprésentation masculine dans les postes de scénaristes et réalisateurs, ce déséquilibre est également hérité d’habitudes ayant installé de nombreux stéréotypes et poncifs dans l’horizon d’attente des spectateurs, autant que des créateurs. C’est pourquoi, même une série créée par une femme ne garantit absolument pas un rééquilibrage immédiat. On peut évidemment se contenter de dire que certains hommes ont tout simplement du mal à écrire pour une femme, comme le reconnaissent par exemple Jerry Seindfeld et Larry David. Mais, plus encore, un éveil à cette question est indispensable pour faire bouger les lignes.

Parmi les nombreux signes du biais masculin identifié plus haut, le principal sera évidemment le fait que la majorité des héros sont des hommes (blancs et hétérosexuels comme le veut la formule consacrée). Cet état de fait peut évidemment être vu comme un simple procédé devant permettre à un maximum de personnes de s’y identifier, mais au-delà du problème que cela pose en soit, il entraîne une série de conséquences dommageables pour la représentation des femmes.

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Ainsi, la figure du héros, quasi-christique dans sa dimension de sacrifice, exige bien souvent que ce dernier soit seul à prendre tout en charge. Malgré un travail, ou une mission, déjà très accaparant, le héros se retrouve ainsi souvent dans la position de devoir également régler les problèmes de ses proches. Cela peut aller des futures finances de sa femme, pourtant pas sans ressources, pour Walter White (même si Breaking Bad réussit par la suite très bien à démontrer les limites de cette position finalement plus orgueilleuse qu’altruiste) à la « gestion » des nombreuses disputes entre les femmes de la famille (si émotives et irrationnelles les pauvres qu’elles sont incapables de s’entendre !), dans Parenthood, Friday Night Lights ou Big Love par exemple. Cette position de totale responsabilité induit évidemment l’omnipotence du héros et l’irresponsabilité de « ses femmes », totalement infantilisées.

Plus souvent reléguées au rang de rôles secondaires, les personnages féminins se verront traitées de manière beaucoup plus superficielle. Leurs histoires et leurs raisons d’agir se verront moins interrogées, ce qui tend à renforcer l’impression selon laquelle les femmes sont mystérieuses, donc incompréhensibles, et qu’elles agissent sans raison apparente.

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Elles se trouvent bien souvent n’être que des prétextes narratifs ou « moraux ». En tant que prétextes narratifs, on pourra limiter leurs rôles à quatre figures totalement caricaturales : la victime (à sauver), la manipulatrice (au mieux à éviter, au pire à punir), l’intérêt amoureux ou sexuel (à gagner !), le soutien (qui aide dans l’ombre). Ces quatre rôles sont évidemment interchangeables en fonction des circonstances, le même personnage pouvant les jouer alternativement.

La violence envers les femmes, tout comme d’ailleurs le sexe, se trouvent dans ce contexte également servir de prétextes narratifs, offrant un rebondissement, un background ou un dénouement facile (parce que formaté, répété d’une série à l’autre) à l’intrigue principale. Combien de héros ont vu leur femme, et parfois leurs enfants qui en sont une extension « naturelles », tués par leur ennemi, qui devient ainsi personnel ? Combien de partenaires se retrouvent en conflit à cause d’une femme ?

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Comme prétextes moraux, les personnages féminins servent généralement de rappel au héros de ses obligations privées, sentimentales ou familiales. Parce que le spectateur suit en priorité, si pas exclusivement, l’histoire du point de vue du héros, ces obligations apparaissent souvent comme autant d’obstacles en plus dans des aventures déjà assez prenantes. Si le but des scénaristes est généralement d’étoffer, d’humaniser leur personnage, la conséquence involontaire est en fait davantage de faire passer ces épouses, filles, mères,… pour des chieuses déconnectées des réalités. C’est pourquoi, par exemple, les personnages de Skyler White, Deb Morgan ou Dana Brody ont pu être détestés par une majorité du public. S’il n’y a pas malice de la part des scénaristes, notons cependant que ce rôle de rappel à l’ordre des réalités pourrait tout aussi bien être joué par un fils, un époux ou un père mais c’est très rarement le cas. Le lien presque évident qui se fait dans nos cultures entre espace privé et femmes est ici assez évident.

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Purement structurels, ces éléments conduisent pourtant à construire une représentation idéologique des différences et des rapports hommes/femmes clairement déséquilibrée. Si vous ajoutez à cette toile de fond certains poncifs éculés sur les ex vengeresses ou vénales, les déséquilibrées destructrices mais hot, les fausses accusations de viol, harcèlement ou maltraitance, les mères castratrices, les séparations qui n’en sont jamais vraiment (surtout s’il y a des enfants, parce que la famille du héros reste une entité indivisible qui lui revient de droit et qu’une femme ne sait de toute façon pas ce qu’elle veut), les personnages de femmes « libérées » supports de fantasmes exclusivement masculins, … sans compter une représentation toujours très différenciée des sexualités féminine et masculine (dramatisation/valorisation de la perte de virginité, contextualisation amoureuse/décontextualisation de la jouissance, …), vous voilà en présence d’un état des lieux assez navrant du sexisme dans les fictions, et particulièrement dans les séries.

Ce constat, espérons-le, n’est que le point de départ d’une prise de conscience collective, qui seule permettra de faire changer les choses.

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